La petite bête

Qui se souvient encore d’Albert Dubout, ce dessinateur français dont les œuvres fourmillaient de détails et de personnages tellement foisonnants qu’il était impossible de les embrasser au premier coup d’œil, et qu’il fallait y revenir sans cesse pour découvrir la quintessence du travail de l’artiste ? Je me rappelle en particulier un dessin représentant une foule manifestant pour obtenir du pain, une revendication barrant une immense banderole, tandis qu’un petit bonhomme, tout seul, et probablement au régime, brandissait sa petite pancarte où il avait inscrit : « des biscottes ! » Eh bien, figurez-vous que des esprits chagrins et probablement oisifs ont épluché à la loupe les affiches officielles des JO de Paris 2024 pour y chercher la petite bête, et qu’ils l’ont trouvée.

Le corps du délit consiste dans la représentation fidèle, à un détail près, du dôme des Invalides, qui ne possède pas, comme dans la réalité, de flèche surmontée de la croix chrétienne. Il n’en fallait pas davantage à l’extrême droite pour en tirer la conclusion que l’artiste, mais aussi les organisateurs et par extension le plus haut sommet de l’état français, sans préjudice d’un éventuel complot international dirigé par quelque Antéchrist tapi dans l’ombre, étaient responsables de ce blasphème visant à nier les origines catholiques de notre civilisation. Si, si ! On voit par là les effets dévastateurs d’un coup de gomme intempestif soumis à la sagacité d’un Gilbert Collard par exemple, qui ne doit plus avoir de procès urgents sur le feu, et dont les amis politiques, Zemmour ou Maréchal, n’ont guère le vent en poupe en ce moment. Ces mêmes porte-drapeaux qui font également remarquer l’absence du drapeau national, qui n’a pourtant jamais été brandi à cette occasion, même en 1936 par la propagande nazie.

Une polémique chasse l’autre depuis un moment, et notamment à propos des Jeux olympiques, où les feux de la rampe étaient braqués il y a peu sur le choix contestable et contesté d’Aya Nakamura pour chanter lors de la cérémonie d’ouverture. Aya qui ? me direz-vous, si vous n’avez pas suivi la carrière fulgurante de la chanteuse franco-malienne, propulsée en tête des ventes d’albums et des vues sur Internet grâce à la reconnaissance de vedettes déjà connues qui l’ont admise dans leur cercle très fermé. Personnellement, ce succès me parait incompréhensible, mais peu importe. Elle aurait été pressentie par le président Macron en personne, remplaçant au pied levé le directeur artistique Thomas Jolly et pourrait chanter une reprise d’Édith Piaf, par exemple « la vie en rose ». Je crains le pire, mais admettons. C’est dans l’autre sens qu’il faut cette fois trouver la « petite bête ». Voilà que je découvre, grâce à une éditorialiste de France Inter, que mon appréciation peu flatteuse de l’artiste devant l’indigence de ses textes serait à mettre sur le compte de mes préjugés racistes et sexistes. Ben voyons !