Chimères

La nouvelle est tombée cette semaine, mais elle remonte à la fin septembre. Un rein de porc a été greffé avec succès sur un humain dans un hôpital de New York, ce qui constitue une première mondiale. Il a fallu, bien que le porc soit très proche de l’homme sur le plan génétique, modifier son ADN pour éviter le rejet du greffon, moyennant quoi il a fonctionné correctement deux jours et demi sur un patient en état de mort cérébrale. Cette avancée médicale majeure ouvre des perspectives et soulève des espoirs dans un secteur qui souffre d’une pénurie d’organes.

Historiquement, la greffe de rein a été parmi les premières à être maîtrisée, le fait de pouvoir vivre avec un seul rein a favorisé les dons dans le cadre familial avec des risques de rejet minimisés. Cependant, les donneurs restent moins nombreux que les receveurs potentiels et le recours à des greffons animaux pourrait sauver de nombreuses vies. Cela suppose l’existence de fermes dédiées à l’élevage d’animaux destinés à cet usage dans des conditions bactériologiques parfaitement contrôlées et maîtrisées. Et là, je vous avoue que sur un plan moral, cela me pose un certain nombre de questions. Alors que je n’ai pas d’état d’âme devant mon assiette et que je ne suis pas la tendance générale qui va vers le « véganisme » en évitant d’utiliser tout produit en relation avec les animaux, je suis sensible au tabou concernant les manipulations des espèces. Je suis très réservé, notamment, sur les expérimentations de laboratoire où l’on implante des cellules humaines dans des embryons de cochon, créant ainsi ce que l’on a appelé des « chimères biologiques ».

Rappelons qu’à l’origine, la chimère était un animal mythologique possédant les caractéristiques de deux espèces distinctes, telles que le lion et la chèvre, et que son nom désignait également toute idée provenant de l’imagination, souvent séduisante, mais irréalisable. Sur le plan éthique, les manipulations génétiques soulèvent l’écueil, bien réel, des risques d’eugénisme, de sélection des individus en fonction de critères précis, à commencer par le genre ou la couleur des yeux. Un projet initié par les nazis par exemple. Tous les progrès techniques doivent s’accompagner d’une réflexion sur les dérives possibles qu’ils engendrent, et cette frontière entre l’espèce humaine et les espèces animales fait partie des questions de bioéthique sur lesquelles il convient de s’interroger. J’en étais là de mes réflexions, quand mon invitée du dimanche, que vous retrouverez demain, m’a fait remarquer que je n’avais rien trouvé à redire à l’usage d’une valve cardiaque biologique pour pallier la défaillance de la mienne et me permettre d’être encore parmi vous, sans que de battre mon cœur se soit arrêté. Merci à mon cousin porcin éloigné, et au diable les vieilles chimères et les peurs qui les accompagnent.