Fusibles

Si j’ai pu donner l’impression dans une chronique précédente que les préfets portaient seuls la responsabilité des erreurs de gestion, voire des crimes auxquels leur nom a pu être associé, tel que Maurice Papon, aussi bien pendant l’occupation que sous la 5e république, je voudrais préciser qu’il n’en est rien. Le communiqué de l’Élysée au sujet des massacres d’Algériens du 17 octobre 1961 à Paris, entretient à ce sujet une ambiguïté volontaire dont Emmanuel Macron est coutumier. Il fait porter la culpabilité uniquement sur le préfet de l’époque, en occultant toute la chaîne hiérarchique.

Personne n’imagine cependant que Maurice Papon ait pu mener cette répression sanglante et meurtrière d’une manifestation pacifique sans en avoir reçu l’ordre, et à l’insu du pouvoir en place. Il était placé sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur, Roger Frey, lui-même devant rendre des comptes au Premier ministre, Michel Debré. Et le président de la République, Charles de Gaulle, n’a pas pu ignorer ce qui se passait, au moins a posteriori, s’il n’en a pas été lui-même le donneur d’ordre. On sait comment ce genre de décisions se prennent. Le supérieur demande « que le nécessaire soit fait » tout en voulant ignorer les détails. Or, ni le Président, ni le Premier ministre, ni le ministre de l’Intérieur n’ont blâmé après coup le comportement des forces de l’ordre ni ont reconnu la moindre responsabilité dans le déroulement des opérations. Après le crime d’État, le mensonge d’État. Il faut dire que la presque totalité du personnel politique s’abstient volontairement de toute critique du général de Gaulle dans sa période 5e République, et encore moins depuis sa mort en 1970, où il est devenu complètement intouchable.

Je suis né à la fin de la 2e guerre mondiale et je ne connais que par ouï-dire le personnage historique que fut de Gaulle à cette époque. Mais j’ai assisté à sa prise du pouvoir en 1958 et au coup d’état que François Mitterrand a qualifié de permanent. J’ai pu constater les atteintes aux libertés individuelles et les mauvais coups perpétrés par le Service d’Action Civile, le SAC, bras armé illégal d’un régime autoritaire. Je n’ai donc pas d’indulgence pour un homme qui a fait peser une chape de plomb sur la France en verrouillant l’information et en envoyant ses CRS mater les révoltes ouvrières. Son passé de résistant lui a servi de bouclier pour imposer un pouvoir personnel sans partage, en utilisant un système électoral taillé sur mesure dans une constitution rédigée par ses proches. Le président actuel se garde bien de remonter la chaîne de responsabilité qui aboutit nécessairement au sommet de la hiérarchie, surtout dans cette société corsetée, car il cherche à bénéficier lui aussi de cette immunité et de la rente de situation qui en découle, en vue d’une réélection possible.