L’ami américain

Hors de question de remettre en cause l’amitié indéfectible qui nous unit au peuple américain depuis Lafayette. Mais quand il s’agit de défendre ses intérêts, les sentiments passent au second plan. C’est ce que nous avons vu au travers de deux évènements récents. Tout d’abord, c’est la Commission européenne qui envisage d’infliger une amende record à Apple pour avoir pratiqué un dumping fiscal à l’égard de l’Irlande où il a son siège social, en ne payant qu’un impôt ridiculement bas, ce qui constituerait une forme de subvention déguisée et donc de distorsion de concurrence.

Ce qui est paradoxal dans cette affaire, c’est que Apple pourrait être obligé de verser 13 milliards au gouvernement irlandais, qui n’en veut pas. Et pour cause. Si Apple et nombre d’entreprises, américaines ou non, ont choisi de s’installer à Dublin pour chapeauter leurs activités en Europe, c’est avec la bénédiction des autorités irlandaises qui préfèrent avoir un petit pourcentage d’un gros gâteau qu’une grosse part de rien du tout. Mais l’administration américaine s’indigne de cette sanction, alors qu’elle ne trouve rien à redire aux énormes amendes infligées aux banques européennes telles que BNP ou Crédit Agricole sous prétexte que des transactions avec des pays sous embargo américain ont été effectuées en dollars. Autrement dit, la loi américaine s’applique au monde entier, mais le monde ne peut pas faire la loi pour les entreprises américaines. Ou encore, faites ce que je dis, et non ce que je fais.

C’est un état d’esprit qui se prête peu à la négociation, et il n’est pas surprenant que le projet de traité transatlantique entre l’Europe et les États-Unis soit en train de sombrer corps et biens. Ce projet, connu sous le nom de Tafta, ne fait pas dans la dentelle, pour le peu que l’on puisse le savoir, puisque son contenu est gardé plus secret que les plans de défense du Pentagone. Non seulement les conséquences environnementales et sanitaires des normes qui auraient été imposées aux Européens auraient été catastrophiques, mais les intérêts des grandes entreprises américaines auraient été scandaleusement privilégiés au détriment de notre économie. Et je ne parle même pas de la fameuse « exception culturelle » qui a permis au cinéma français de survivre dans un univers totalement dominé par les blockbusters hollywoodiens. Soyons lucides. C’est cette perte possible de souveraineté et la menace de déclin économique qui ont poussé le ministre allemand des Affaires étrangères à annoncer l’échec probable des négociations et plus récemment la France à appeler à l’arrêt des pourparlers sur le traité de libre-échange. Certains cadeaux n’entretiennent pas l’amitié.