Délectation morose

Mais où sont passés les utopistes créateurs, les penseurs roboratifs, les intellectuels stimulants ? On a l’impression que tout ce qui reste de l’intelligentsia se complait dans un constat amer, se vautre dans le malheur de la destinée humaine et tire une joie mauvaise de la décomposition de la société, en particulier française. À tout seigneur, tout honneur, le parangon de cette tendance autodestructrice n’est autre qu’Éric Zemmour, propulsé par la télévision comme maitre à penser, qui a fait un tabac avec son « Suicide français » et qui se passe d’exégèse avec un tel titre.

Il avait déjà annoncé la couleur avec un précédent ouvrage, « Mélancolie française », montrant une belle constance dans l’exploitation d’un filon très lucratif. Sous prétexte de pourfendre la « pensée unique », le polémiste s’attaque aux valeurs de ce qu’il appelle la bien-pensance : le féminisme, les droits de l’homme, l’antiracisme, sans parler de ses thèses révisionnistes concernant la collaboration. Mais, après tout, n’est-ce pas ce qu’on peut attendre d’un auteur proche de l’extrême droite, passéiste et rétrograde ? On aurait pu espérer mieux de la part de penseurs dûment estampillés philosophes, comme Alain Finkielkraut ou Michel Onfray. Je n’ai pas compétence pour évaluer la pertinence de leur pensée philosophique, mais si j’en juge par leurs prises de position politique et leurs analyses sociétales, ils ne se différencient guère du susnommé. Finkielkraut, qui se défend d’être de droite, parle de la désintégration de la France. Aveuglé par la question de l’antisémitisme, il désigne l’Islam comme ennemi, rejoignant en cela un Philippe de Villiers revenu d’entre les ex-politiques pour vendre son dernier ouvrage. Même tendance pour BHL, dont le prisme d’analyse est faussé par le conflit palestinien et le soutien inconditionnel à l’État d’Israël, tout comme Arno Klarsfeld, mais lui, on ne peut pas le qualifier d’intellectuel.

Qui nous reste-t-il ? Michel Houellebecq ? Son dernier livre, « Soumission » ne se défend pas d’être « probablement » islamophobe en mettant en scène une France islamisée après la victoire électorale d’un musulman en 2022. Ou alors l’inusable Régis Debray, compagnon de route du Che, survivant d’une époque héroïque ? Las ! Il a rejoint lui aussi le camp des déclinologues et des souverainistes frileux, dressant un tableau noir de l’école et de la décadence de la France. Finalement, je suis d’accord avec eux sur un point, c’était mieux avant, quand on croyait encore aux lendemains qui chantent.