Déjà-vu

Vous connaissez ce sentiment diffus qui nous fait croire, alors que nous vivons une situation présente, que nous avons déjà vécu ces évènements, et qu’ils sont en réalité des souvenirs ou des réminiscences. C’est un peu l’impression que me laisse le fait-divers récent de la mort de la petite Rose âgée de seulement cinq ans, dans lequel c’est un adolescent de 15 ans qui est soupçonné de l’avoir tuée. Comme souvent en pareil cas, l’émotion est vive dans l’entourage, en particulier la famille, mais aussi dans la population, locale ou nationale, et la tentation est grande d’extrapoler une situation singulière pour en tirer des enseignements généraux.

Il faut à tout prix trouver des erreurs, voire des fautes, pour expliquer qu’un tel drame ait pu survenir. Et c’est d’autant plus difficile et risqué que nous n’en sommes qu’au début de l’enquête. Le suspect avait déjà été mis en cause en 2022 dans le viol de jeunes garçons de 10 et 11 ans, et avait passé un an dans un Centre éducatif fermé en attente de son procès. L’occasion de regretter la lenteur de la justice, en particulier s’agissant d’enfants aussi jeunes. Le séjour en CEF s’était bien déroulé et le garçon avait été remis en liberté sous contrôle judiciaire dans sa famille. L’expertise psychiatrique de l’époque n’avait pas relevé de risque majeur, contrairement à celle, plus récente, qui note une « altération du jugement » et une dangerosité du sujet, avec un risque de réitération. Dans l’état actuel de la pédopsychiatrie, un suivi régulier ne pouvait être prescrit faute de moyens sans un danger avéré et immédiat qui n’était pas démontré.

Pour l’extrême-droite, c’est l’occasion de réclamer toujours plus de places de prison et d’évoquer sournoisement un retour hypothétique de la peine capitale en niant vouloir la rétablir tout en en parlant quand même. Et nous n’en sommes qu’au début. Il va falloir les résultats de l’autopsie pour connaître les détails des faits reprochés au suspect. Peut-être également fera-t-il des déclarations aux enquêteurs, alors qu’il garde le silence pour le moment comme c’est son droit. J’ai aussi été choqué par une interview, celle d’une petite fille qui aurait failli être victime du garçon en question, dont le visage a certes été flouté, mais dont le témoignage aurait dû être réservé à la justice. On a appris au passage que d’autres habitants avaient remarqué son comportement bizarre, mais ne semblent pas avoir alerté les autorités. Il y a apparemment là une faille. L’enfant, malgré un comportement correct en CEF, devait faire l’objet d’une mesure éducative en milieu ouvert pour être remis dans sa famille d’origine. Or, les éducateurs chargés de ces suivis sont en nombre notoirement insuffisant. Si faillite il y a eu, et l’on est bien obligé de la constater, elle est collective et tient au système judiciaire et de santé publique tout entier. Il peut largement s’améliorer, mais le risque zéro ne sera pas atteint.