C’est un peu court jeune homme

À quoi reconnait-on un candidat à l’élection présidentielle ? Oh ! on pourrait dire bien des choses en somme. Par exemple, quand un ministre se laisse pousser la moustache, pour suggérer qu’il a tant de choses à penser qu’il n’a plus le temps de se raser, tel Nicolas Sarkozy en 2003, qui avait lui-même « emprunté » la formule à Laurent Fabius qui reconnaissait qu’il pensait à se présenter en se rasant le matin. Mais la véritable preuve des ambitions présidentielles de Gérald Darmanin réside dans son imitation de la formule utilisée par François Hollande au cours de son débat télévisé contre Nicolas Sarkozy entre les deux tours de la présidentielle de 2012.

Pour beaucoup d’observateurs, en employant l’expression « moi, Président » de façon répétitive, le futur vainqueur enfonçait le clou et accréditait sa candidature, la rendait crédible, voire inéluctable. En réponse à la question d’une députée de l’opposition, le ministre de l’Intérieur a tenté de rééditer la stratégie gagnante de François Hollande en pratiquant une figure de style, dont le nom, anaphore, est devenu familier à cette occasion, et est en passe de faire office de passage obligé, de figure imposée, dans les compétitions présidentielles. Gérald Darmanin a donc répété consciencieusement à huit reprises, comme son modèle, sa formule magique : « que s’est-il passé à gauche ? », en une sorte de leitmotiv masquant mal la vacuité des propos qui suivaient, tel un chapelet de procès d’intention que rien n’étayait. Mis en difficulté par des dérapages verbaux enregistrés à l’insu de fonctionnaires de police, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et le nombre de blessés à Sainte Soline, sans compter les critiques internationales sur la gestion de crise et les mensonges d’état, le ministre n’a d’autre réponse que l’infantile « c’est celui qui dit qui y est. »

Comme s’il se doutait que son argumentation avait peu de chance de convaincre les Français, il se permet de convoquer le ban et l’arrière-ban de ce qu’il prétend être la vraie gauche, lui qui n’en a jamais fait partie, en tentant de diviser artificiellement les tenants d’une gauche raisonnable, opposée à une ultra-gauche supposée servir d’épouvantail. Et de citer, dans un ordre soigneusement réfléchi : Clemenceau, Chevènement, Cazeneuve, Valls, pour terminer avec Mitterrand et Badinter. Gérald Darmanin ne retient de la gauche au pouvoir que les personnalités supposées incarner l’ordre, comme si tous les autres n’avaient jamais existé. Vision très sélective de l’histoire contemporaine. En réalité, la nouvelle droite qui soutient Emmanuel Macron ne peut prospérer que sur les décombres d’une gauche désunie. De ce point de vue, l’alliance électorale NUPES a fait beaucoup de tort à l’ancienne majorité et le front commun de l’Intersyndicale contre la réforme des retraites également. Mais ces efforts désespérés de Gérald Darmanin pour recueillir un héritage hypothétique n’ont guère d’écho.