Tout le monde il n’est pas beau

C’est en paraphrasant le titre du film de Jean Yanne sorti en 1972 que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a cru bon de résumer sa pensée en matière d’immigration. Il a annoncé ses intentions en déclarant qu’il serait désormais « gentil avec les gentils, et méchant avec les méchants ». On croirait entendre une leçon de morale à l’intention des enfants d’une école maternelle, ou l’expression d’un manichéisme cher aux Américains, pour qui le monde se divise en deux entités distinctes, nous, les gentils, qui gagnent toujours à la fin, et tous les autres, les « bad guys » qui n’ont pas eu la chance de trouver une carte verte dans leur berceau.

Grâce à la future loi sur l’immigration, le ministre pourra enfin trier le bon grain de l’ivraie. Par des moyens qu’il n’a pas cru bon de préciser, il rejettera les mauvais immigrés, responsables de la moitié de la délinquance en France, et suffisamment maladroits pour se faire prendre, comme ces rappeurs voleurs de montre de prix qui ont revendiqué leur forfait dans un clip de promotion de leur art. En revanche, il délivrera des autorisations de séjour aux gentils immigrés, ceux qui voudront bien faire le travail sous-payé dans des conditions souvent indignes dont les « F de souche » ne veulent pas. La pierre de touche devrait être la réussite à un examen de langue et de culture française, dont la pertinence pour faire un travail de maçon m’échappe quelque peu. Sans oublier qu’à ce compte-là nous aurions dû nous passer de Jane Birkin, qui avait appris le français avec Tarzan, selon Coluche, et qui a cependant fait carrière.

Une nouvelle fois, Gérald Darmanin, fragilisé par une affaire telle que celle du meurtre barbare de la jeune Lola, court derrière l’extrême droite sur le thème de l’immigration et de la délinquance. Tout en se défendant de tirer un signe d’égalité entre les deux, toute son action vise à les amalgamer dans l’opinion publique pour en tirer un bénéfice politique. Beaucoup d’agitation pour des mesures annoncées visant à renforcer gravement l’appareil répressif, sans aucune garantie d’efficacité. Darmanin veut inscrire toutes les personnes sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, soit plus de 100 000 par an, au fichier des personnes recherchées. C’est une entreprise qui coûterait fort cher, et qui devrait être autorisée par la Commission nationale informatique et libertés, pour un résultat non garanti, certains pays refusant toujours de reprendre leurs ressortissants. D’autre part, je reviens au slogan du ministre, être gentil avec les gentils, et méchant avec les méchants. Que fera-t-il alors avec les cons ? On se souvient de la répartie d’un ancien président, qui s’était fait traiter de « connard » par un simple citoyen et qui avait rétorqué : « enchanté, moi c’est Chirac ! »