Occupy culture

Souvenons-nous. Il y a près de 10 ans, un mouvement de protestation décidait d’occuper le quartier de Wall Street, symbole de la finance américaine et internationale, pour contester un ordre mondial dans lequel les inégalités sont de plus en plus criantes. Ces manifestations pacifiques faisaient suite à celles qui s’étaient déroulées en Espagne, avec les « indignés », et préfiguraient celles de 2016 en France, connues sous le nom de « nuit debout ». Du fait de l’inertie des pouvoirs publics devant la mise à l’arrêt des manifestations culturelles, des artistes ont décidé d’occuper les théâtres, en guise de protestation.

L’affaire a commencé à l’Odéon, ce qui a pu rappeler des souvenirs aux « boomers » de la génération de soixante-huitards, et s’est étendue à près de 70 lieux de culture. Des artistes y demandent la réouverture des théâtres, au même titre que les musées ou les cinémas, moyennant le respect de normes strictes de sécurité sanitaire. Leur revendication est parvenue aux oreilles de la ministre de la Culture, réduite au chômage technique, mais qui n’a pas eu le courage de démissionner. Elle les a ignorés superbement en faisant entendre qu’ils prenaient le risque de la contagion. Patatras ! c’est Roselyne Bachelot qui a contracté la maladie, comme s’il existait une sorte de justice immanente. Ce qui ne l’a pas empêchée de prendre le risque de contaminer les participants à la captation d’un spectacle à l’Opéra Bastille et à la remise d’une médaille à Michel Sardou, toutes affaires cessantes. Une nouvelle illustration du : « faites ce que vous dis, et non ce que je fais ».

On ne s’étonnera donc pas de sa réaction à la prestation de Corinne Masiero lors de la cérémonie des Césars, où elle s’est bien gardée de rester après l’ouverture, craignant visiblement de se faire interpeler. Et, en effet, la capitaine Marleau a présenté ses revendications sur un corps nu, ce qui continue d’être un objet de scandale absolu, et ce d’autant plus qu’il n’est plus très jeune. Si la méthode se discute, ce n’est certainement pas une femme politique reconvertie un temps dans la blague graveleuse sur les plateaux de télévision qui peut lui donner des leçons de bon goût. Pendant que les artistes occupent les théâtres, la ministre s’occupe comme elle peut. Elle va avoir encore plus de temps pour ne rien faire puisqu’elle a dû se mettre à l’isolement. Paradoxalement, ceux qui occupent sont précisément ceux qui voudraient bien être occupés à faire leur métier, eux. À part de belles paroles et quelques promesses qui ne dépendent pas d’elle, Roselyne Bachelot n’a pas grand-chose à leur répondre. L’honnêteté et le panache dont elle est dépourvue auraient commandé qu’elle se mette d’elle-même « en réserve de la République » en attendant des jours meilleurs. On en est loin.