La gueule de l’autre

J’ai appris avec une certaine stupéfaction que le président Macron était très colère de constater que la campagne de vaccination française n’était pas partie sur les chapeaux de roue, comme si ce n’était pas lui qui avait décidé du tempo et donné des instructions dans ce sens. À écouter les indiscrétions soigneusement distillées dans la presse, il aurait pris la tête de l’opposition pour critiquer le gouvernement et l’inciter à faire preuve d’une plus grande diligence. C’est comme si le sommet de l’état s’était soudain dédoublé. Et brusquement l’illumination ! Emmanuel Macron a un sosie !

Bon sang, mais c’est bien sûr ! La charge de travail qu’abat cet homme-là est proprement surnaturelle. Un seul individu ne suffirait pas à la tâche. Ils sont donc deux. Au moins. Souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps, il a chopé le virus. Pendant que le vrai Macron était au fond du trou, l’autre, le faux Macron, guère plus vaillant, se filmait sur les réseaux sociaux. Mais on voyait bien qu’il avait une drôle de tête. Il se ressemblait un peu, bien sûr, mais cette gueule de déterré ne pouvait pas tromper grand monde. D’ailleurs, ses apparitions ont été très brèves. On comprend mieux désormais les changements de pied du président, affirmant tout puis son contraire, allant jusqu’à faire douter du dogme fondateur, celui de l’infaillibilité présidentielle, sur lequel repose toute la république. La devise de la maison est de ne reconnaître aucune erreur et en aucun cas d’avouer quoi que ce soit.

Cette situation a été évoquée dans un film prémonitoire de Pierre Tchernia en 1978, « la gueule de l’autre », où un politicien joué par Michel Serrault était contraint de se faire remplacer par un sosie pour échapper à des menaces de mort. Le faux Perrin se sortait de situations difficiles en invoquant de façon irrésistible sa lignée ouvrière : « fils d’ouvrier, petit-fils d’ouvrier, ouvrier moi-mêêême… » Un exemple malheureusement impossible à suivre pour le président actuel qu’on ne voit pas se vanter d’une longue tradition bourgeoise dans la banque ou la finance. D’ailleurs, il me semble que le faux Emmanuel Macron et le vrai ont pour caractéristique commune d’être bons comédiens, avec malheureusement une propension certaine à appuyer leurs effets et à user d’un vocabulaire peu courant pour bien marquer la distance sociale qui les sépare de leur auditoire, à coup de truchements, de carabistouille et de poudre de perlimpinpin. J’imagine qu’ils ont dû suivre les mêmes cours d’art dramatique avec une conception élitiste de la culture. Le temps n’est plus où un Nicolas Sarkozy revendiquait être autodidacte en la matière, rattrapant la recherche du temps perdu en mettant les bouchées doubles de littérature. À moins que ce ne soit son alter ego, Paul Bismuth, qui s’exprimait alors.