Le big Bazar

C’était le nom d’un groupe musical fondé par Michel Fugain dans les années 70. Parmi de nombreux succès de cette troupe joyeuse on trouve une chanson, prémonitoire, intitulée « la fête », dans laquelle il évoque un avenir radieux, une utopie dans l’air de l’époque, où il pouvait s’exclamer : « merde, que ma ville est belle, sans ces putains de camions ». Aujourd’hui, c’est aussi un big bazar entre la France et l’Angleterre, au centre duquel on retrouve des milliers de camions à l’arrêt, bloqués sur le sol britannique avec leur chargement.

Cette pagaille monstre a été causée par le gel de la frontière pour 48 heures au pire des moments, à la veille de Noël, à cause d’une panique créée par la peur de la contagion d’une variante du Coronavirus, supposée plus grave et plus contaminante que le Covid 19 d’origine. Si c’est vraiment le cas, on peut y voir une nouvelle illustration de l’impéritie et l’impréparation des gouvernements, cette fois des deux côtés de la Manche. S’il est difficile de reprocher aux gouvernants de prendre des précautions pour éviter l’aggravation d’une crise sanitaire déjà très préoccupante, il faudrait leur rappeler que ces mesures de protection n’ont d’intérêt que si elles sont prises avant la crise. Il semble que la mutation la plus dangereuse remonte à septembre dernier, et que le virus modifié circule sur tout le continent et même au-delà depuis lors. La fermeture brutale ne fait que rajouter des drames individuels au problème collectif. Les camionneurs sont bloqués sans eau, sans nourriture, sans sanitaires et doivent trouver un moyen de se faire tester pour avoir le droit de traverser. Ni les Anglais ni les Français ne sont en mesure d’organiser une telle transhumance en seulement deux jours. Les routiers ne sont plus sympas, et on les comprend. Comme beaucoup de voyageurs, ils doivent faire une croix sur les retrouvailles traditionnelles de fin d’année.

On a l’impression, probablement justifiée, de mesures décidées dans la panique, sans réelle évaluation des conséquences, bâties sur la conviction erronée que « l’intendance suivrait » comme à l’armée selon la formule du général de Gaulle. Visiblement, l’intendance est débordée. Des tonnes de marchandises périssables vont être perdues. Nul ne sait comment les tests vont pouvoir être effectués et qui devra payer la note, particulièrement salée selon la loi de l’offre et de la demande, qui nous fait apprécier encore davantage notre système de Sécurité sociale. Le seul bénéfice secondaire de cette gabegie est peut-être celui d’avoir fait toucher du doigt les conséquences désastreuses d’une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne, ce qui va peut-être permettre un traité commercial in extremis, qui justifierait l’expression de « magie de Noël » ou même peut-être celle de « miracle de Noël ».