Matoutou

Cette année, confinement oblige, les Antillais vont devoir renoncer à une tradition des fêtes de Pâques que l’on appelle Matoutou en Martinique, ou Matété en Guadeloupe. Le mot désigne à la fois la fête elle-même et le plat traditionnel, à base de crabes de terre que l’on confectionne directement sur la plage où on va le déguster, le lundi de Pâques. Il faut l’avoir vécu pour se représenter l’importance de cette tradition, héritée du temps de l’esclavage, quand la viande était réservée aux colons et que les pauvres se contentaient des crabes, qu’il suffisait d’attraper.

Aujourd’hui encore, la chasse au crabe de terre n’est pas si facile. C’est une occupation de tout le mois précédent Pâques pour les enfants des écoles et aussi pour les adultes, qui fabriquent des pièges pour le traquer, car il ne sort généralement que la nuit. Les gamins les titillent dans leurs terriers avec une branchette, comme on chassait les grillons en métropole. Les décapodes ainsi capturés sont mis à la diète avant d’être nourris juste avant leur sacrifice. Les familles se rendent sur les plages où ils allument un feu de bois, ou, plus prosaïquement, un brûleur de gaz butane, sur lequel elles feront cuire le fameux plat traditionnel, dans une grande marmite ou une simple cocotte-minute. Il faut se représenter la véritable transhumance que cette fête implique. Certains amènent la tente et s’installent en camping improvisé dès la veille, profitant du jour férié pour investir les plus belles plages.

Si les arrivées sont échelonnées, les retours seront nécessairement groupés, chacun voulant profiter de la sortie le plus longtemps possible. Les embouteillages commenceront très tôt sur les routes et se poursuivront jusque tard dans la nuit avant que tous aient pu regagner leurs pénates. Cette densité de circulation a au moins un avantage : celui d’empêcher les fondus de vitesse de se livrer à des démonstrations de puissance dans leurs bolides rutilants (au sens propre, celui de rouge vif). Décapotés, sortant de la station de lavage, klaxon deux tons, et plus si affinités, hurlant fièrement sous le soleil pour bien se faire voir, les coupés sportifs roulent souvent à tombeau ouvert, comme en témoignent les statistiques d’accidents du samedi soir, pour peu que leurs propriétaires aient un peu abusé du Ti ’punch. J’ai oublié au passage la musique, qu’elle soit du zouk, de la biguine ou du reggae. Elle sera omniprésente, encore plus que d’habitude. Qu’elle vienne du simple appareil portatif d’un adolescent escorté par une meute de gamins rangés par ordre décroissant de taille, ou du système sonore dont sont équipées les voitures et qu’il est de bon ton de pousser au maximum, ou encore des installations plus sophistiquées montées pour l’occasion, avec groupes électrogènes et toute une sonorisation semi-professionnelle.

Commentaires  

#1 Jacotte 86 11-04-2020 13:06
Que de bons souvenirs cele évoque...c'était le bon temps!
Citer