La vie est belle

Dans son film de 1997, Roberto Begnini imagine l’histoire d’un père qui invente une fable pour son fils afin de lui faire croire que le camp de concentration dans lequel ils sont détenus n’est rien d’autre qu’un centre de vacances et de loisirs où tout le monde joue, fait semblant d’être méchant, mais en réalité, c’est pour rire. Il faut simplement jouer le jeu et tout ira bien. Tout le monde a pensé à cette fiction quand a commencé à circuler une vidéo, bien réelle celle-là, d’un père et sa fille de 3 ans, pris sous les bombes en Syrie.

Abdullah s’est filmé avec sa fille Salwa, en train de « jouer » à se moquer des bombes qui tombent sans discontinuer dans leur région, la province d’Idleb, dernier refuge des opposants au régime de Bachar Al-Assad. Si vous l’avez ratée, le lien pour voir cette vidéo se trouve en bas de page. À chaque bruit inquiétant, il faut deviner s’il s’agit simplement d’un avion, ou d’une bombe qui va exploser. Dans ce cas, la petite fille va rire aux éclats, ce qu’elle fait avec un naturel désarmant, comme on peut être tout entière accaparée par un jeu à cet âge-là. Et quoi de plus communicatif qu’un rire ? Nous nous prenons à sourire, nous aussi, mais nous ne pouvons pas le faire sans réserve. L’innocence de l’enfance est bien loin derrière nous, et nous éprouvons nécessairement un très fort pincement au cœur en voyant ces images. Bien sûr, ce père et sa fille sont touchants, ils nous délivrent un message d’espoir, qui serait que la vie est plus forte que tout. Mais pouvons-nous vraiment y croire ?

En entendant le rire de cette enfant et en voyant la joie forcée de son père, je me sens aussi mal à l’aise que devant les clubs du rire qui demandent à leurs adhérents de s’esclaffer artificiellement pour faire semblant d’être joyeux et par là même le devenir réellement. J’ignore si la méthode est efficace pour ceux qui la pratiquent, car elle me donnerait plutôt le cafard, personnellement. S’il est possible de préserver l’insouciance de cette enfant, tant mieux. Cela n’efface pas l’indifférence coupable dans laquelle le boucher syrien avec le soutien de son complice russe est en train de finir le travail en ensevelissant son peuple, ou ce qu’il en reste, sous des tapis de bombes. L’opinion internationale, après s’être indignée, et devant la volonté manifeste du président des États-Unis de ne rien faire, a fini par s’habituer à l’horrible. Puissent de tels gestes réveiller sa conscience.

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