Je ne fais pas les nécros

Quand on arrive à un certain âge, voire un âge certain, on assiste à la disparition « naturelle » de nombre de ses aînés et parfois de ses contemporains. Certaines personnes « prennent le journal » pour parcourir les avis de convois et être informées du décès de leurs connaissances ou relations afin de pouvoir assister à leurs obsèques. C’est une attitude que je leur laisse et je fuis les cimetières à moins d’être strictement obligé de les fréquenter. J’ai donc décidé depuis longtemps que je ne ferai pas ici de chronique nécrologique.

De la même façon que certaines jeunes filles des bals populaires annonçaient aux jeunes gens qui les invitaient qu’elles ne « faisaient pas les slows », je ne ferai donc pas d’éloge funèbre. Ce qui ne m’empêche pas d’évoquer des épisodes personnels liés à telle ou telle personnalité à l’occasion de leur disparition. C’est ainsi que j’aurais pu raconter l’érotisme subtil dégagé par Jeanne Moreau dans le journal d’une femme de chambre de Luis Buñuel, simplement en boutonnant interminablement ses fameuses bottines montantes noires. Ou la trompette déchirante de Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud, où elle donnait la réplique à Jean-Louis Trintitignant. Aujourd’hui, avec la mort de Jerry Lewis, c’est une autre partie de mon adolescence qui disparait. Avec son complice, le crooner Dean Martin, il a tourné un bon nombre de films plus que médiocres, dont le scénario tenait sur un timbre-poste, mais qui lui donnaient l’occasion de faire un numéro de clown qui me faisait hurler de rire. J’ai souvenir d’une scène, peut-être tirée du film « Artistes et modèles », mais je n’en jurerais pas, dans laquelle Jerry n’a qu’un haricot pour tout repas et le déguste avec le cérémonial réservé à des mets plus nobles : il le découpe en bouchées infinitésimales avant de le mastiquer longuement et de se déclarer repu de ce festin de roi. Une scène digne de Charlie Chaplin quand il se trouve réduit à manger ses chaussures dans La ruée vers l’or.

Je conserve précieusement ce souvenir, car je sais qu’aujourd’hui, si je revoyais le film, il me ferait à peine sourire. L’humour a considérablement évolué depuis ce temps, et je sais aussi que l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Je garde un peu de nostalgie de cette époque où l’on pouvait rire sans arrière-pensées de situations comiques très simples, sans se poser beaucoup de questions. Jerry Lewis était de cette veine-là, celle des Laurel et Hardy, des Charlot, ou en France de Louis de Funès, à qui il remit un César en 2011 pour l’ensemble de sa carrière.

Commentaires  

#1 jacotte 86 21-08-2017 11:02
pas si sur que cela ne te ferait pas rire encore, hier je me suis régalée de quelques extrais de ses pitreries uniques et irrésistibles si on fait fi de toutes arrières pensées intellos
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