Chronique d’une fraude annoncée

On ne peut pas dire que l’élection controversée d’Ali Bongo au Gabon soit inattendue. La surprise aurait été que le président sortant ne soit pas réélu. Car enfin, il avait mis toutes les chances de son côté. Une semaine avant le scrutin, les résultats étaient déjà connus et des procès-verbaux établis. On rapporte que dans certains villages le nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales dépassait le nombre d’habitants recensés officiellement. Et surtout, la fraude électorale semble une tradition et même un sport national depuis l’indépendance en 1960. Le premier président n’aura même pas besoin d’y recourir, étant seul candidat dans un régime de parti unique.

Léon M’ba, élu avec 100 % des suffrages sera réélu sur le même score alors qu’il est mourant à Paris et qu’il ne pourra jamais revenir dans son pays. C’est Omar Bongo, son directeur de cabinet, qui lui succède pour une période de 42 ans jusqu’à sa mort en 2009. Il ne manquera pas de se faire réélire à intervalles réguliers, toujours avec 100 % des suffrages, tant que le multipartisme restera interdit. Il devra ensuite se contenter de scores plus modestes, de 50 à 80 %, et les résultats en seront contestés. Mais Omar Bongo bénéficie de la bienveillance des gouvernements français successifs, et la manne pétrolière servira à l’enrichissement personnel de la famille au pouvoir et accessoirement au financement des partis politiques français. À la mort d’Omar Bongo, son fils Ali, alors ministre de la Défense, brigue sa succession et est élu à la majorité relative, alors que l’opposition dénonce, déjà, d’importantes fraudes, et notamment la duplication de 120 000 noms sur les listes électorales.

Cette fois, Ali Bongo aurait été réélu avec à peine 5 600 voix d’avance sur son principal concurrent. Une avance obtenue dans le fief électoral du clan Bongo, le Haut-Ogooué, où la participation serait de 99,93 % des inscrits et le vote en faveur du président sortant de 95,46 % des voix. Juste assez pour compenser les 60 000 voix de retard dans les autres provinces, dont les résultats étaient déjà connus. Selon l’opposition, la fraude est tellement manifeste qu’elle en devient ridicule. Une méthode similaire avait déjà été dénoncée en 2009 par l’ambassade des États-Unis, d’après une révélation de WikiLeaks. Ce résultat scandaleux suscite la colère des nombreux opposants au régime qui dénoncent à la fois le manque de démocratie et le pillage des ressources au profit d’une caste au pouvoir. De ce point de vue, l’alternative incarnée par Jean Ping n’est guère encourageante : il a participé au pouvoir depuis de nombreuses années, étant même lié à la famille Bongo en vivant maritalement avec une fille de l’ancien président, mais c’est tout ce que le Gabon peut espérer pour le moment.