Mort d’un commis voyageur

Que la famille de Christophe de Margerie n’y voie nul manque de respect, mais le concert de louanges qui a accompagné la disparition brutale du patron de Total m’a paru quelque peu exagéré. Il n’est pas de bon ton de critiquer les défunts, et le député PS Gérard Filoche, qui s’y est risqué, a aussitôt reçu sa volée de bois vert de tous les côtés de l’échiquier politique.

 

Et pourtant. N’est-il pas choquant que les condoléances visent exclusivement le dirigeant d’entreprise quand trois membres d’équipage ont également été tués dans l’accident ? Ces professionnels laissent aussi derrière eux une famille, ce dont personne ne se soucie. La première réaction de Total, une fois l’émotion un peu retombée, a été de s’appliquer à rassurer les milieux d’affaires en expliquant que l’entreprise allait continuer exactement comme avant et que la mort de son PDG ne changerait rien à sa stratégie.

Parlons-en, justement de la politique de ceux chez qui on ne vient pas par hasard, mais parce que les lois de la concentration en ont fait une sorte de monstre tentaculaire qui dicte sa loi sur une bonne partie de la planète. On peut rendre cette justice à Christophe de Margerie, il n’a pas inventé les marées noires. Elles existaient déjà du temps de son prédécesseur, Thierry Desmarest, et je fais confiance au consistoire de direction pour trouver un nouveau dirigeant capable d’endosser les catastrophes écologiques à venir sans le moindre état d’âme. De même qu’il lui faudra assumer les amitiés particulières de son groupe avec les dictatures de tout poil, faire ami-ami avec la junte birmane, les ayatollahs iraniens, les démocrates sincères russes et d’une manière générale tous ceux qui détiennent les robinets de l’or noir, qui n’a pas plus d’odeur que les billets de banque.

C’était une autre des qualités de « Big moustache », cette faculté de fraterniser avec les hommes politiques de toutes les familles. Il sera regretté aussi bien par des personnalités au pouvoir comme Manuel Valls et même François Hollande, que par des opposants qui aspirent à le reprendre, ce pouvoir, ce qui accrédite l’idée selon laquelle les multinationales dirigent le monde autant sinon plus que les politiques. Le fait que Total soit un groupe français ne doit pas occulter le fait que sa politique est exclusivement orientée par la recherche du profit maximal pour ses actionnaires et que cela passe par la fuite devant l’impôt. Et ce n’est pas le remplacement du caporal d’industrie qui y changera quelque chose.