Le choix des mots

Dans toute expression, il y a le fond et il y a la forme. Il y a le contenu et le contenant, et la tentation est grande de les dissocier. En particulier pour les politiques qui s’empressent de prétendre avoir été mal compris ou que leur déclaration a été sortie de son contexte, dès qu’ils se rendent compte de leurs boulettes. Les linguistes ont démontré depuis fort longtemps que ces deux aspects de la réalité étaient aussi indissociables que les deux faces d’une feuille de papier, que le message était constitué de l’ensemble et que sa signification était perçue globalement.

Raison de plus pour choisir avec soin les mots que l’on utilise pour exprimer sa pensée. Laurence Rossignol, ministre des Familles, a soulevé un tollé en comparant les femmes voilées aux « nègres américains », affirmant que certains d’entre eux avaient été favorables à l’esclavage. Outre que la comparaison est audacieuse pour ne pas dire risquée et contestable, l’emploi du mot nègre ne peut manquer d’être considéré comme péjoratif, en particulier dans ce contexte. Aux États-Unis, auxquels la ministre se réfère, ce terme est considéré comme une injure et il est d’usage, après avoir utilisé le mot « coloré », d’employer le qualificatif d’Afro-Américain. En France, la tendance est de se servir du mot anglais black ou de son équivalent français de noir. Il est cependant des exceptions. « You are my nigger », tu es mon nègre, est acceptable s’il vient d’un noir américain. De même que Dany Laferrière, écrivain haïtien, a pu se permettre de publier « comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ». Car il est bien connu que les seuls à pouvoir se moquer des Juifs sont les Juifs eux-mêmes et que la remarque vaut pour toutes les communautés.

C’est donc avec stupéfaction que l’on a appris qu’un tribunal prudhommal n’avait rien trouvé à redire quand un coiffeur licencié avait été traité de « sale PD, qui faisait des tours de putes », sous prétexte que la profession employait régulièrement des personnes homosexuelles sans que cela pose de problèmes. J’en déduis que pour ce tribunal, le mot pédé n’a aucune connotation injurieuse, même associé à l’adjectif sale. Si le salarié les avait traités de « sales juges », il aurait pourtant écopé probablement d’un délit d’outrage à magistrat. Ces affaires témoignent de la banalisation de comportements discriminatoires depuis le bas jusqu’au sommet de la hiérarchie sociale. Il serait temps que les représentants de l’état donnent l’exemple.

Commentaires  

#1 Isabelle 09-04-2016 19:44
En Allemagne il existe une expression (venue de la déformation d'une citation du chancelier Adenauer): "Il y a une différence entre avoir le droit et l'obtenir" .
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