Attentat langagier

Mon sang ne fit pas cent tours, ni même cinquante tours, non, mon sang ne fit qu’un tour en entendant le patron de la Chambre de commerce et d’industrie de la Côte d’Opale interviewé dimanche déclarer « vous n’êtes pas sans ignorer… » eh bien si, je suis sans ignorer puisque je suis au courant des faits dont il voulait parler, à savoir l’afflux de migrants de plus en plus nombreux, poussés par le désespoir à tout tenter pour essayer de passer en Angleterre.

 

Ce brave homme, dont l’inculture ne l’a visiblement pas empêché de réussir, développait donc son argumentation sur France Inter pour justifier les moyens qu’il envisageait de déployer, à savoir un corridor policier bordé de barbelés, rappelant le mur de la honte de Berlin et ses successeurs tout aussi infamants à la frontière entre le Mexique et les États-Unis ou entre Israël et les territoires palestiniens. Il nous portait d’ailleurs le coup de grâce en détaillant les dispositions qu’il comptait prendre pour « y pallier » (sous-entendu, à cette situation).

Que diable va faire un honnête citoyen dans un embrouillamini lexical qui le dépasse au lieu de s’en tenir à un langage simple et compréhensible ? Mais le plus ennuyeux dans tout ça reste évidemment le fond. Tout en reconnaissant que les migrants n’ont pas réellement nui à l’activité économique, il se plaint de la dégradation de l’image de la ville et de la zone portuaire, qui pourrait entraîner à terme une baisse du chiffre d’affaire, ce qui serait, je cite, « insupportable ». Il faut croire que nous n’avons pas la même évaluation de ce qui est supportable ou non, puisque je ne l’ai pas entendu faire la moindre allusion à la détresse des expatriés venus se perdre dans le goulot d’étranglement de Calais.

J’ai déjà eu le même haut-le-cœur en entendant la semaine dernière les revendications du syndicat Unité Police SGT FO de Calais qui réclame des renforts pour ses adhérents dont la charge de travail a, parait-il, augmenté dans des conditions dramatiques. Il me semble que le drame touche davantage les personnes qui ont tout perdu et qui cherchent à survivre tant mal que bien aux portes de l’Europe. Tant que les gouvernements refuseront de regarder la réalité en face et se défausseront de leurs responsabilités dans une attitude égoïste de repli sur soi, il n’y a aucune raison pour que les simples citoyens se montrent plus solidaires et altruistes qu’eux. Pourtant, que ce soit à Calais, à Lampedusa ou ailleurs, il commence à y avoir urgence.