Le viager

Vous avez peut-être vu cette comédie des années 70, réalisée par Pierre Tchernia, dans laquelle Michel Serrault, supposé à l’article de la mort, vendait sa maison secondaire de Saint-Tropez en viager au frère de son médecin, et retrouvait miraculeusement une santé et une longévité hors du commun, jusqu’à devenir centenaire. Pour illustrer le déroulement du temps, le cinéaste nous montrait la niche du chien, remise à jour régulièrement jusqu’à atteindre, de correction en correction, le millésime de « Kiki 5 ». Toute révérence gardée, c’est à cette anecdote que m’a fait penser l’épisode burlesque de la nouvelle nomination du Premier ministre démissionnaire, en vue de former un gouvernement Lecornu 2.

Ne sachant visiblement plus à quel saint se vouer, le président a semble-t-il décidé de faire appel une nouvelle fois à un proche, un peu comme certains propriétaires attachés à leur animal de compagnie, se contentent de prendre un « clone » du précédent, en le différenciant uniquement par un numéro. C’est au fond la suite logique des précédentes nominations, de Michel Barnier à François Bayrou, qui ont cru pouvoir s’affranchir de la main qui les nourrissait, sans toutefois se permettre de la mordre, comme Édouard Philippe, ou dans une moindre mesure, Gabriel Attal, à présent que le monarque républicain est au plus bas dans les sondages. Avec Sébastien Lecornu, Emmanuel Macron sait qu’il n’aura pas à craindre d’être poignardé dans le dos, et c’est déjà beaucoup. L’analogie avec la situation du film « Le viager » ne vous parait peut-être pas évidente. Ce que le président peut monnayer, c’est sa longévité au poste qu’il occupe, et qu’il compte bien ne pas quitter avant l’échéance. Malheureusement, ses héritiers deviennent de moins en moins nombreux, et les cousins Républicains hésitent à quitter le navire avant qu’il fasse naufrage et les entraîne dans les abysses.

Comme dans le film, un viager est une bonne affaire pour l’acheteur quand le vendeur a le bon goût de ne pas s’attarder ici-bas et une très mauvaise dans le cas contraire. L’espérance de vie d’un gouvernement proche du président n’était que de quelques heures avec Lecornu 1. Elle peut difficilement être moindre avec Lecornu 2, lui-même pessimiste sur la réussite de ses recherches, d’autant plus qu’il devrait exclure tout ministre ayant des ambitions présidentielles, autant dire une bonne moitié de la classe politique. Quant à l’autre moitié, elle doit s’interroger sur l’opportunité d’accepter un tel poste en ce moment même, au risque d’être associé durablement à un clan en perte de vitesse, sans en tirer une once de prestige personnel et pour être inéluctablement victime d’une motion de censure « spontanée », ou si le Premier ministre demande la confiance, comme l’avait imprudemment fait François Bayrou.