Le martyre de Sébastien Lecornu

Il croyait avoir bu le calice jusqu’à la lie en constatant que la coalition qui avait permis à ses prédécesseurs de se maintenir au moins jusqu’au dépôt d’une motion de censure ou d’un vote de confiance de l’Assemblée nationale avait volé en éclat du fait du ministre de l’Intérieur des Républicains qui s’offusquait du retour de Bruno Le Maire. Comme le prévoit la Constitution, il présentait librement sa démission, ainsi que celle du gouvernement, sans, semble-t-il, y avoir été invité par le Président, comme c’est l’usage habituel. J’en veux pour preuve le fait qu’Emmanuel Macron lui ait demandé de lui rendre un dernier service avant de quitter ses fonctions : une mission de la dernière chance.

Celle de réconcilier les partis irréconciliables en 48 heures pour trouver un accord de gouvernement avant demain soir. En cas de nouvel échec, le président « assumera ses responsabilités ». Qu’est-ce qu’il entend par là ? Mystère et boule de gomme. Cette expression sibylline a le mérite et l’inconvénient de vouloir tout dire et ne rien dire, tout en sonnant bien, pour donner l’impression de dominer son sujet et se donner le temps d’une réflexion approfondie. Si Emmanuel Macron prend grand soin de ne pas s’engager dans une voie ou une autre, appliquant peut-être la maxime du Cardinal de Retz qui veut que « l’on ne sorte de l’ambiguïté qu’à son détriment », d’autres s’en chargent pour lui, montrant tour à tour les différentes options à sa disposition. Une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, comme le demande le RN, favori des sondages. Une destitution réclamée par la France Insoumise, ouvrant la perspective d’une présidentielle anticipée, ou la recherche d’un nouvel oiseau rare accepté par tous pour un nouveau contrat court à la durée incertaine.

Autant dire un très faible gain de temps, un répit qui ne règlerait rien. La nouveauté, et qui pourrait faire croire que les rats quittent le navire, c’est que le désarroi semble avoir gagné les troupes supposées loyales au Président. C’est quand même le chef de file du parti présidentiel, Gabriel Attal, ancien Premier ministre, qui déclare « ne plus comprendre les décisions d’Emmanuel Macron » et qui a l’air de se rapprocher des formations de gauche. Et comme on n’est jamais si bien trahi que par ses proches, c’est Édouard Philippe en personne qui vient de suggérer au président de crever l’abcès en démissionnant et en organisant les présidentielles anticipées. Une hypothèse peu probable, tant Emmanuel Macron démontre un acharnement à exercer jusqu’au bout la moindre parcelle du pouvoir que lui octroie sa fonction. C’est, je crois, ce qu’a compris son bref Premier ministre, qui a décliné par avance l’honneur d’être renommé dans cette fonction, même s’il accomplissait le miracle de recoller la plupart des morceaux cassés par son patron, ayant compris qu’il n’y avait que des flèches à y récolter.