Le bon et le mauvais paysan

On savait déjà que le ministre de l’Intérieur avait connu une vie antérieure au Puy-du-Fou sous l’inspiration de son mentor de l’époque, Philippe de Villiers, voilà qu’il semble vouloir remettre au goût du jour le célèbre sketch des Inconnus sur la chasse à la galinette cendrée. En effet, autant Bruno Retailleau sait se montrer sensible à la condition paysanne, voire compréhensif à l’égard de leurs revendications, autant il a prévenu qu’il serait intransigeant vis-à-vis d’un éventuel blocage durable des routes. Il n’hésitera pas à faire appel à un déploiement massif des forces de l’ordre et il pratiquera « la tolérance zéro » pour assurer la circulation.

Si l’on gratte un peu, on s’aperçoit que le ministre distingue entre bons et mauvais manifestants. En réponse à une question, il précise que ce n’est pas par exemple le déversement de fumier qui serait particulièrement intolérable. On croirait entendre la description du bon et du mauvais paysan. Le mauvais paysan, il n’est pas content, alors il déverse son fumier devant la préfecture, tandis que le bon paysan, bon, il déverse son fumier, d’accord, mais c’est un bon paysan, ce n’est pas du tout pareil, lui, on peut le comprendre. Surtout s’il fait partie du bon syndicat, pas une espèce de gauchiste à la José Bové qui te démonte un Mac Do comme qui rigole, ou un genre de facho proche des ultras droites du rassemblement national, syndiqué, mais pas trop. Bruno Retailleau est bien placé pour savoir qu’il faut se défier des imitations. Les cheminots, par exemple, ne trouvent pas grâce à ses yeux, à quelques exceptions près. Ce sont, pour la plupart des preneurs d’otages qui profitent lâchement des fêtes pour extorquer des augmentations de salaire.

On pourra discuter de la légitimité de leurs revendications seulement quand ils seront, comme les paysans, en train de crever la gueule ouverte, parce qu’ils n’arrivent pas à vivre du fruit de leur travail, sous-entendu, pas comme ces nantis de la SNCF qui se prélassent dans leur confort aux dépens de ceux qui travaillent. J’ai pourtant aperçu des images dans lesquelles les paysans bloquaient toute la nuit, deux voies sur trois en laissant passer quelques véhicules au compte-gouttes. C’étaient sûrement de « bons » paysans puisque les gendarmes n’y ont rien trouvé à redire, pas plus qu’au feu de joie allumé sur la voie publique. Le paradoxe de la situation, c’est que la presque totalité des partis politiques, y compris la coalition provisoire à laquelle appartient le ministre de l’Intérieur, se déclare d’accord avec les revendications des agriculteurs, notamment sur le refus de signer l’accord commercial avec les pays du Mercosur. Cette unanimité, jugée suspecte par certains, ne constitue en rien une protection. Les agriculteurs, bons ou mauvais, ne voudront peut-être pas, cette fois-ci, se contenter de belles promesses.