Le feu aux poudres

Depuis lundi dernier, la Grande-Bretagne est confrontée aux pires émeutes qu’elle ait connues depuis plus de 10 ans. À l’origine de ces graves troubles à l’ordre public, le terrible assassinat de trois fillettes dans un cours de danse à Southport par un adolescent de 17 ans, qui a également tenté de tuer dix autres petites filles. Des rumeurs ont immédiatement circulé sur les réseaux sociaux, caisse de résonance habituelle de fausses nouvelles diffusées par des fauteurs de trouble malintentionnés, selon lesquelles l’agresseur serait un migrant, fraîchement arrivé au Royaume uni, et islamiste radicalisé. Il n’en fallait pas davantage pour inciter des militants d’extrême droite à s’en prendre aux forces de police, au cours de manifestations violentes où ils visaient spécifiquement des mosquées.

Les fausses informations diffusées sur l’origine du meurtrier ont été prises pour argent comptant par la population, qui est excédée par l’afflux de migrants, principalement à travers la Manche, alors qu’on avait promis aux Anglais que le Brexit règlerait tous les problèmes. Il n’en est rien, évidemment, mais, paradoxalement, c’est le propagandiste en chef des brexiteurs, Nigel Farage, qui tire le mieux son épingle du jeu. Son parti récolte 14 % de suffrages aux dernières élections générales qui ont vu les Conservateurs perdre la majorité au profit des Travaillistes. Malheureusement, de part et d’autre du Channel, la gauche est toujours accusée de laxisme. Le Premier ministre travailliste a beau clamer la fermeté et promettre des sanctions exemplaires, à la fois pour les émeutiers et les propagandistes de la violence sur les réseaux, y compris les multinationales qui les hébergent, la tension ne redescend pas pour le moment.

Dans l’état actuel de l’enquête, on ignore les mobiles de l’agression. Son auteur est né sur le sol anglais dans une famille d’origine rwandaise, et il n’y a pas de signes évoquant une piste terroriste ou des motivations religieuses. Les manifestants ont repris le slogan « enough is enough » trop, c’est trop, utilisé contre les migrants illégaux par les partis nationalistes, qui tentent d’exploiter la colère populaire. On nous avait vanté le modèle multiculturel anglais, dans lequel la reconnaissance des diverses communautés et notamment les religions pouvait s’exprimer au grand jour. Ces récentes poussées de fièvre indiquent que ce système ne suffit pas forcément à lui seul à créer du lien social permettant de vivre en harmonie les uns avec les autres. Ces réactions exacerbées reflètent l’émotion légitime soulevée par un fait divers particulièrement horrible, mais aussi, et peut-être surtout, la façon dont l’idéologie du repli sur soi et l’exclusion des étrangers gagne du terrain partout en Europe, y compris chez nos voisins anglais qui l’ont pourtant quittée.