Du pain ou des jeux

Qui aurait cru il y a seulement un mois que les Français se passionneraient à ce point pour des Jeux olympiques dont ils ne percevaient au fond que les difficultés de tous ordres qui n’allaient pas manquer de s’abattre sur la population. Les discours les plus défaitistes circulaient sur les réseaux dits sociaux et il était de bon ton pour un influenceur de prédire les pires catastrophes afin de dissuader le plus de Parisiens possibles de rester sur place et au plus possible de touristes de s’abstenir de choisir la France comme destination de vacances.

Alors il est vrai que la circulation n’a pas échappé à ce que Boileau, dans ses Satires, appelait déjà « les embarras de Paris » en 1666, et que le pari fou d’organiser des Jeux olympiques « intra-muros » s’est heurté à de nombreuses difficultés, notamment la qualité de l’eau de la Seine, qui, malgré des travaux pharaoniques, a failli faire capoter les épreuves prévues dans le fleuve. Mais en définitive, les difficultés ont été surmontées pendant cette première semaine de compétition en dépit des prédictions de mauvais augure et la sécurité a été assurée, malgré les tentatives de sabotage sur le réseau SNCF ou sur les relais de fibre optique. Ce qui n’avait pas été anticipé, c’est cette ferveur populaire qui s’est cristallisée autour des exploits des athlètes français, que l’on n’attendait pas à ce niveau. Le public a pleinement joué son rôle en encourageant follement les sportifs français, et même les autres. Il s’est découvert de nouveaux héros, à côté de valeurs sûres comme Teddy Riner, qui a réussi à tenir son rang. Ainsi du prodige Léon Marchand en natation, ou du cadet des frères Lebrun en tennis de table, déjà très fort à 17 ans à peine.

Si j’étais un rabat-joie, je ferais observer que ces jeux tombent à pic pour faire oublier momentanément que nous n’avons plus de gouvernement de plein exercice, et que le président préfère se montrer dans les gradins pour bénéficier d’une partie de l’euphorie des victoires françaises, plutôt que de plancher sur les solutions à une crise politique qu’il a créée de toutes pièces. Au temps de l’Empire romain, Juvénal dénonçait déjà une politique des dirigeants qui se contentaient de donner au peuple ce qu’il souhaitait le plus, à savoir du pain, distribué généreusement pour contenter l’estomac des citoyens, et des jeux du cirque, ancêtres de nos compétitions sportives, pour les divertir, au sens étymologique, les distraire de leurs préoccupations quotidiennes. Ce qui a changé, c’est qu’il n’y a plus fromage ET dessert. Les jeux sont faits, ou en passe de l’être, à chaque citoyen, la charge de gagner son pain. Et malheur aux vaincus selon la formule consacrée, dans une société où l’on est invité à lever ou baisser le pouce à tout propos.