Le vide et le trop-plein

Le 15 mai 1962, lors d’une conférence de presse, un exercice qu’il affectionnait particulièrement, le Général de Gaulle prononçait une de ses petites phrases dont il avait le secret, en réponse à une question concernant sa succession à la tête de l’état : « Ce qui est à redouter, à mon sens, après l’événement dont je parle, ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop-plein ! » Après la décision calamiteuse d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale au pire des moments, beaucoup d’observateurs de la vie politique envisagent sérieusement l’hypothèse d’une démission du président de la République.

Il pourrait en effet considérer que le vote populaire qu’il a estimé indispensable confirme sa dégringolade dans les sondages d’opinion et les résultats de la dernière consultation où les électeurs ont clairement désavoué les listes conduites par ses ultimes partisans, désormais minoritaires dans le pays. S’il jugeait sa majorité toute relative insuffisante pour gouverner le pays, il devrait constater que la France peut encore moins qu’avant suivre ses orientations personnelles et que sa politique imposée aux forceps du 49.3 est devenue intenable. La question de sa succession pourrait donc se poser très rapidement, compte tenu de l’orgueil démesuré du personnage, et sachant qu’il ne pourra pas se représenter, ni demain, ni en 2027, à l’échéance normale de son bail. Parmi les prétendants figure en bonne place, espère-t-il, le ministre de l’économie actuel, Bruno Lemaire, qui fait de la politique à ses moments perdus quand sa production littéraire lui en laisse le loisir. Il a attribué la bourde de la dissolution aux fameux « cloportes » des parquets de l’Élysée, tapis dans l’ombre. Je ne suis pas loin de partager son diagnostic en le complétant. Si les cachettes sont si nombreuses, ce serait parce que les couloirs et les bureaux proches du pouvoir seraient infestés de jeunes ambitieux, dont les dents proéminentes rayent les parquets en tous sens.

La fulgurante et résistible ascension du président actuel, que rien ne prédestinait à l’accession au pouvoir suprême, sinon un concours de circonstances et un alignement improbable des planètes, a fait croire à un nombre considérable de politiciens de seconde zone, qu’ils pouvaient eux aussi avoir leur chance. Sur le mode « si lui y est arrivé, pourquoi pas moi ? », chacun tente de mettre en pratique le conseil de Jean-Claude Duss dans « les bronzés font du ski » : vas-y, fonce, on sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher. On se souvient qu’un futur président avait dévoilé ses ambitions en reconnaissant y penser, pas simplement en se rasant. Désormais, il convient de tenir compte d’une certaine parité, ce qui pourrait être un progrès, si la principale favorite des sondages n’était pas une certaine Marine Le Pen, à qui Emmanuel Macron aura, volontairement ou non, servi de marchepied.