Billard à trois bandes

Pour les néophytes de ce sport, précisons tout de suite les règles. Cette forme du billard français, sans poches donc, se joue avec les deux boules blanches et la boule rouge, qu’il faut toucher successivement, mais le point n’est accordé qu’à la condition expresse d’avoir fait tout d’abord ricocher sa propre boule sur les côtés, les bandes, au minimum trois fois. Ce qui amène le joueur à devoir calculer un itinéraire complexe et à maîtriser des notions de géométrie dans l’espace nécessitant un certain talent. L’expression est devenue le symbole d’une démarche où l’on semble s’éloigner du but pour mieux y revenir.

On peut supposer que le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, serait volontiers un adepte de cette forme de pensée tortueuse si l’on en juge par ce communiqué sibyllin du ministre russe des Affaires étrangères sur le réseau social X, qui semble apporter un soutien explicite au Rassemblement national en vue du deuxième tour des élections législatives. Si le texte est ampoulé et assez peu explicite, publié en anglais de surcroît alors que les électeurs français sont assez peu nombreux à maîtriser cette langue, la photo de Marine Le Pen qui l’illustre en dit plus long que le discours. De quoi embarrasser l’intéressée, qui a réagi sur TF1 en dénonçant une provocation des autorités russes. Une manœuvre en effet assez grossière, accréditant la thèse des adversaires du RN, qui voient la main de Moscou derrière l’extrême droite, malgré les démentis de ses dirigeants. Le passé plaide pour cette hypothèse avec le financement du RN pour la campagne présidentielle par une banque russe. Au point que Raphaël Glucksmann a accusé Thierry Mariani d’être « le petit télégraphiste du Kremlin » tant le député rallié au RN a défendu la position de Poutine dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine.

Cette image de petit télégraphiste, alors que le métier a disparu au profit de transmissions à distance qui n’impliquent plus le moindre déplacement en vélo et encore moins de sacoche renfermant les précieux messages télétransmis, a la vie dure. Elle remonte à la campagne présidentielle de 1981, quand François Mitterrand traitait Valéry Giscard d’Estaing de petit télégraphiste de Varsovie quand il y avait rencontré le président russe de l’époque, Léonid Brejnev, qui l’avait copieusement roulé dans la farine, comme devait le faire plus tard Poutine avec Macron. Marine Le Pen elle-même a utilisé cette image en 2022 en traitant Emmanuel Macron de « petit télégraphiste de l’OTAN et de l’UE ». Quelle sera l’influence réelle de ce message de soutien plutôt embarrassant ? Difficile à dire. Probablement assez faible, tant les positions de l’électorat semblent actuellement assez fixées. Les jeux sont faits ! rien ne va plus ? Réponse dimanche soir.