Justice coloniale

En principe, l’institution judiciaire dans une société démocratique est là pour arbitrer les conflits et éviter que les parties qui ont des différends se fassent justice elles-mêmes. La mesure qui vient d’être prise à Nouméa et qui aboutit à l’incarcération de sept militants indépendantistes en métropole, soit à 17 000 km de leur domicile, s’apparente davantage à une vengeance de l’état pour faire payer aux supposés fauteurs de troubles la peur qu’ils ont engendrée en démontrant l’incapacité du gouvernement à maîtriser une situation qu’ils ont eux-mêmes engendrée en laissant pourrir une impasse juridique afin de pouvoir trancher de façon autoritaire.

Sans revenir sur la totalité des troubles qui ont embrasé l’archipel, au sens propre, avec des bâtiments incendiés, ces conflits ouverts entre partisans de l’ordre établi, formant des milices armées, et les manifestants indépendantistes bloquant les infrastructures, il faut rappeler l’origine des émeutes, avec ce projet de loi de réforme du corps électoral imposé aux populations implantées historiquement. Un projet qui, soit-dit en passant, était si urgent que le président Macron a jugé bon de le suspendre lorsque sa décision de dissoudre l’Assemblée Nationale a pris le pas sur toute autre considération. Les familles des 9 victimes décédées pendant les émeutes apprécieront. Et ce n’est malheureusement pas fini. Cette décision a été considérée comme une déportation et elle a entraîné mécaniquement de nouveaux troubles à l’ordre public qu’elle était supposée éviter. De nouveaux barrages ont été érigés, de nouveaux incendies allumés, comme c’était à prévoir. Le prétexte invoqué par le procureur de la République, c’est la « sensibilité de la procédure », pour « permettre la poursuite des investigations de manière sereine, hors de toute pression ou concertation frauduleuse ». Il s’agit surtout de priver les mis en examen du soutien moral de leur famille en les éloignant au maximum comme on le fait depuis toujours avec les militants corses ou basques par exemple.

S’il s’agit là du cadeau d’adieu du ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, ou du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a géré la crise de façon calamiteuse, on ne peut que souhaiter bonne chance à leurs successeurs à qui ils lèguent un terrain miné. Ces personnes mises en examen sont présumées innocentes comme tout un chacun jusqu’à preuve du contraire. Ces vexations gratuites tendent à en faire des martyrs d’un état qui ne sait pas tourner la page du colonialisme, y compris sur les territoires faisant partie intégrante de la république Française. Cet aveuglement est d’autant plus stupide que la contestation portée par le CCAT et son leader historique Christian Tein ne semble pas déraisonnable et qu’un chemin vers un compromis semble possible. À condition de ne pas choisir la répression pure et dure, qui ne peut déboucher que sur des regains de violence.