Les sanglots longs

« Les sanglots longs des violons de l’automne bercent mon cœur d’une langueur monotone ». Ce sont ces vers de Paul Verlaine qui ont été diffusés parmi les « messages personnels » de la BBC pour prévenir les forces de résistance de l’imminence du débarquement et déclencher les actions de sabotage destinées à créer une certaine désorganisation chez l’occupant nazi. De même que le célèbre appel du général de Gaulle le 18 juin 1940, bien peu de Français ont pu l’entendre en direct, mais son influence symbolique a été importante et a marqué un tournant dans le déroulement de la guerre.

Le débarquement des alliés sur les plages normandes est célébré tous les ans, mais la commémoration revêt cette année un caractère particulier, puisqu’il s’agit du 80e anniversaire de ce jour J (le D-day en version originale) dont les témoins directs sont de plus en plus rares. Ils avaient pour la plupart une simple dizaine d’années à l’époque. Quant aux vétérans qui ont participé directement aux combats, ils ne sont plus qu’une poignée, la plupart centenaires. Aucun Français du célèbre commando Kieffer n’aura survécu au-delà du 3 juillet 2023, date à laquelle s’est éteint le dernier d’entre eux, Léon Gautier, à l’âge de 100 ans. De nombreux reportages et interviews des rescapés ont permis de se représenter plus ou moins fidèlement le déroulement des opérations militaires, et l’effroi des populations prises malgré elles dans les combats. Des films de fiction, comme « Le jour le plus long », ont retracé certains épisodes spectaculaires. Des passionnés perpétuent le souvenir tous les ans en procédant à des reconstitutions plus ou moins fidèles, et des collectionneurs entretiennent du matériel, des armes ou des véhicules d’époque. Le discours officiel met l’accent sur les aspects festifs, renforcés par le tirage de feux d’artifice.

Pour ma part, j’avais moins de 3 mois au moment du débarquement, et je ne peux que retenir l’aspect mortifère, le courage et l’esprit de sacrifice qui ont permis à l’opération, cruciale sur le sort de la guerre, de réussir, mais en payant un lourd tribut, illustré par ces cimetières militaires interminables qui s’étendent à perte de vue sur le théâtre des opérations. On ne peut pas non plus s’empêcher de faire le parallèle avec la guerre d’invasion que mène actuellement la Russie contre l’Ukraine et de saluer le geste des autorités en refusant d’inviter le président Vladimir Poutine ni aucun représentant de son pays, à la commémoration du 6 juin 1944. La sanction n’est que symbolique, mais on sait que l’égo surdimensionné de l’autocrate russe, dont la folie expansionniste n’a rien à envier à celle d’Hitler, en sera affecté, même s’il prétend le contraire. C’est l’occasion pour le camp occidental de démontrer sa détermination et faire reculer l’agresseur, tant qu’il en est encore temps.