Persécution et parano

« Ce n’est pas parce que l’on est parano que l’on ne peut pas être réellement persécuté ». Je crois bien avoir inventé moi-même cet aphorisme, mais si quelqu’un lui reconnait un fond de vérité, je veux bien lui en attribuer la paternité. Il me semble que cette idée m’est venue lorsqu’a eu lieu ce scandale retentissant mettant en cause deux anesthésistes du CHU de Poitiers, accusés d’avoir volontairement inversé les branchements des gaz et provoqué la mort de leurs patients. À l’époque, pour se disculper, ils avaient déclaré : « ils sont complètement paranos, la preuve, ils nous persécutent ».

Pour quelle raison est-ce que je vous raconte ça ? À propos du mouvement de grève qui a mobilisé la totalité des organisations syndicales représentatives et une grande partie du personnel de l’audiovisuel public, qui proteste contre le projet de fusion entre les différents secteurs, audio et vidéo, plus l’information continue, qui a été présenté récemment à la représentation nationale et devait être débattu à l’Assemblée aujourd’hui même. Sur le papier, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, il n’est question que de renforcer le service public, lui donner plus de moyens et prendre les devants sur un hypothétique affaiblissement. Cerise sur le gâteau, les salariés devraient être augmentés sans même qu’ils aient besoin de le réclamer. Du jamais-vu pour des employés qui paient généralement très cher une certaine sécurité de l’emploi. La main sur le cœur, le rapporteur de la commission jure qu’il n’y a aucune motivation financière à une réforme dont on cherche en vain les objectifs et la pertinence. En grattant un peu, on s’aperçoit que les aspects financiers ne sont pas abordés et qu’ils feront partie des discussions budgétaires annuelles à venir.

Or, les budgets de l’état ne sont pas à l’abri de coupes claires quand la nécessité fait loi, c’est-à-dire tout le temps. J’en veux pour preuve un autre dossier sensible, également à l’ordre du jour, celui de l’assurance chômage. Selon les premières « fuites » savamment distillées par la ministre responsable du dossier, les chômeurs indemnisés, déjà en minorité dans les statistiques, devront mettre la main à la poche pour que l’état récupère environ 3,6 milliards d’euros sur les indemnités allouées pour le moment et dont chaque centime va désormais être négocié pied à pied. Officiellement, il s’agit de forcer les chômeurs à reprendre un emploi, quand on les soupçonne de les refuser par fainéantise pure et simple. Or, le gouvernement est parfaitement placé pour savoir que le nombre d’emplois non pourvus est ridiculement faible par rapport aux demandeurs. Si en 2024 ou en 2025 il manque encore des sous dans le budget de l’état, il sera plus facile de les prendre à la super-ORTF globale en projet, et la privatiser comme le suggère Éric Ciotti. Cette grève « préventive » prend donc tout son sens.