La justice peut-elle passer avant la raison d’État ?

C’est l’éternelle question remise en lumière par la démarche du procureur de la Cour pénale internationale, visant à émettre des mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, ainsi que son ministre de la défense, Yoav Gallant, en « compagnie » de trois principaux leaders du Hamas. Une demande interprétée comme une tentative de mettre sur le même plan des représentants d’un état réputé démocratique et des dirigeants d’un groupe terroriste ayant accédé au pouvoir par la force. C’est à cette aune qu’il faut mesurer la réaction du président Joe Biden, en campagne pour sa réélection, qui a qualifié cette demande de scandaleuse en réitérant son soutien inconditionnel à l’État d’Israël.

Il convient de rappeler que la demande du procureur doit être validée par les magistrats de la CPI, avant d’être éventuellement suivie d’effet, et que les mis en cause bénéficient de la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire. Pour désagréable qu’elle soit, la démarche doit permettre aux mis en cause de se défendre des accusations portées contre eux et faire valoir leurs arguments. Aucune des parties ne peut être exonérée a priori de ses responsabilités, quelle que soit la légitimité de sa cause par ailleurs. Si des crimes de guerre et a fortiori des crimes contre l’humanité ont été commis, il est nécessaire d’enquêter de façon honnête, et la CPI est supposée garantir cette impartialité. De même, l’emploi du terme « génocide » est réfuté par les Israéliens, mais la situation critique dans la bande de Gaza justifie d’en examiner le bien-fondé et de vérifier si les conditions constitutives d’un génocide sont ou non remplies.

Pour une fois, je serais plutôt d’accord avec la position de la France, qui consiste à condamner les meurtres et les prises d’otages perpétrés le 7 octobre dernier, tout en critiquant également les méthodes du gouvernement et de l’armée israélienne, qui ont largement dépassé les limites d’une riposte proportionnée. Il ne s’agit pas pour autant de renvoyer les adversaires dos à dos, comme on l’entend ici ou là, mais simplement de faire appliquer un droit international. Les mêmes qui condamnent la mise en cause du Premier ministre israélien avaient applaudi la démarche visant Vladimir Poutine. La seule réserve que je ferai sera le manque de crédibilité des instances telles que la CPI. En effet, la charte instituant cette juridiction supranationale n’a été ratifiée que par 123 états sur les 193 pays membres de l’ONU. La Russie notamment, ainsi que les États-Unis, la Chine, l’Inde et Israël ne reconnaissent pas sa compétence. Cependant, la portée symbolique de ses décisions, au-delà des aspects pratiques, reste importante. Aucun dirigeant n’aime être mis au ban du concert des Nations, même s’il en conteste la légitimité.