En avant marges !

J’emprunte ce titre à un vieux numéro d’une revue de consommation, au temps où les Français n’étaient encore « que » cinquante millions, c’est vous dire, mais où, déjà, les industriels étaient beaucoup plus préoccupés par leurs taux de marge que par l’intérêt général des consommateurs. L’objet de l’article concernait les stratégies de marketing et les procédés plus ou moins déloyaux pour inciter les acheteurs à se tourner vers les produits les plus rémunérateurs. À cette époque, on constatait une forte inflation, en France comme dans d’autres pays développés. Depuis, nous avons connu une période plus stable sur ce terrain, mais le retour récent à des hausses massives des prix refait surgir le spectre d’une inflation généralisée.

Les prix dans l’alimentation de détail ont tellement augmenté que la plupart des Français ont dû arbitrer entre leurs dépenses. Ils se sont tournés vers les marques des distributeurs, et sur le hard discount, au point d’inquiéter les industriels des grandes marques, qui traînent pourtant des pieds pour revenir à des prix plus raisonnables, tenant compte de la baisse de certaines matières premières, comme le blé, principalement. Le ministre de l’Économie leur a fait les gros yeux, en menaçant de dénoncer ceux qui ne joueraient pas le jeu et qui ne renégocieraient pas leurs prix avec les distributeurs en grandes surfaces. Je crains que cela n’impressionne guère ces producteurs, qui comptent sur le prestige de certaines marques et l’addiction des Français à des locomotives telles que des boissons gazeuses ou des pâtes à tartiner. Leur argumentaire tient au fait que les produits finis ne dépendent pas uniquement de la matière première, ce qui ne les a pas empêchés d’augmenter massivement leurs prix au plus fort de la crise, mais aussi du prix de l’énergie, des transports, de l’emballage, etc. et, aussi, cerise sur le gâteau, les salaires !

Là, je dis chapeau. Il fallait oser. Si l’on excepte les salariés payés au SMIC et quelques cadres hors catégories, on n’observe pas la si redoutée « boucle prix-salaire » brandie comme un épouvantail par les économistes de droite, si tant est que l’économie puisse être de gauche. Par contre, le taux de marge moyen des entreprises a augmenté en 2022 et en 2023, atteignant près du tiers du chiffre d’affaires à 32,3 %. Une situation qui se traduit en langage courant par les Français comme le sentiment que certains se gavent, tandis que les consommateurs doivent se serrer la ceinture. Le résultat le plus visible de l’embellie annoncée bruyamment par Bruno Le Maire, sera probablement une petite baisse des pâtes alimentaires, et encore, il faudra sans doute attendre la rentrée. Quant à la sauce tomate, n’y comptez pas trop.