Charité bien ordonnée

La guerre scolaire n’aura pas lieu. Ou plus exactement, elle a déjà été livrée, et perdue en 1984, lorsque le ministre de l’époque, qui présentait la loi portant son nom, Alain Savary, a tenté de faire adopter la création d’un grand service public unifié et laïque, et a dû y renoncer devant les manifestations massives organisées par la droite pour soutenir l’enseignement qualifié de « libre ». Cette disposition faisait pourtant partie des 110 propositions énoncées par le candidat François Mitterrand, qui aurait pu considérer, selon la logique de son lointain successeur actuellement au pouvoir, qu’il avait mandat pour l’imposer. Le président Mitterrand avait estimé à l’époque que la paix sociale valait bien une messe.

Nous continuons à payer les frais de cette défaite historique de la gauche et des forces de progrès qui a officialisé pour longtemps le régime d’exception qui permet à une religion d’organiser comme elle l’entend l’enseignement dans ses propres établissements en bénéficiant des mêmes avantages que l’enseignement public en contrepartie d’un engagement moral de respecter les programmes, encore heureux, et de favoriser la mixité sociale en n’excluant personne. Et c’est là que le bât blesse, si l’on en croit le tout récent rapport de la Cour des comptes, qui constate un recul massif sur cet aspect. En 20 ans, les élèves de familles favorisées sont passés de 26 à 40 %, cependant que le nombre d’élèves boursiers restait stable autour de 12 % contre 29 % dans le public. Les établissements privés font souvent état de leurs résultats aux examens sans mentionner aux parents d’élèves que la population accueillie est triée sur le volet, ce qui a une influence évidente sur le taux de réussite. Ce qui est paradoxal, c’est que la particularité de cet enseignement confessionnel n’est généralement pas le critère de choix des parents. La plupart cherchent à éviter les établissements du secteur qui ont mauvaise réputation. Cette ségrégation de fait aggrave d’ailleurs leur situation de ghetto favorisé qu’ils représentent de fait.

Beaucoup de familles de confession musulmane optent pour le privé catholique au seul motif que les enfants y seraient mieux « tenus » et non pas pour des raisons religieuses, bien évidemment. S’ajoute à cela l’anomalie qui consiste à faire payer aux parents un service dont ils pourraient et devraient bénéficier gratuitement. Malgré quelques exceptions charitables, la plupart du temps, les familles nécessiteuses ne peuvent pas se payer ce luxe douteux d’un privilège destiné à exclure les plus pauvres. Faute de mieux, la Cour des comptes suggère de moduler les moyens attribués aux établissements privés comme publics en fonction du profil des élèves, ce qui mettrait fin à la manne indifférenciée attribuée globalement à l’enseignement privé qui la répartit de façon opaque ensuite. Ce serait déjà un progrès par rapport au protocole que vient de signer le ministre avec l’enseignement privé, par lequel celui-ci s’engage à favoriser la mixité sociale, sans plus de précision.

Commentaires  

#1 jacotte86 06-06-2023 15:47
pourquoi ne pas revenir au"périmètre" scolaire"? même si quelques ruses permettaient de le contourner, il assurait peut être la mixité sociale pas si mal que ça
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