Biens mal acquis

À première vue, il s’agit d’un banal litige commercial entre une firme française de fournitures d’avions de combat et un intermédiaire de nationalité indienne actuellement basé à Londres. Mr Sangay Bhandari réclame un arriéré de commission à la société Thalès, pour son rôle « facilitateur » dans des contrats particulièrement juteux entre la France et le gouvernement indien. On parle quand même de sommes importantes, 2,4 milliards de dollars pour la seule année 2019 pour la maintenance de chasseurs Mirage-2000. Selon l’intermédiaire indien, on lui avait promis 11 millions d’euros de plus que ce qui lui a été effectivement versé.

Des sommes probablement destinées à dissimuler des pots-de-vin et qui devaient transiter par des paradis fiscaux, tels que Dubaï où les contrôles sont plus souples qu’en Europe, où la législation s’est durcie. Première mauvaise nouvelle pour les auteurs de manœuvres de corruption, le tribunal de Commerce de Nanterre a statué en 2022 sur la demande de paiement de Mr Bhandari et l’a déboutée. Ce bien mal acquis ne devrait donc pas lui profiter, comme le dit l’adage. Il faut quand même une bonne dose de culot pour demander à la justice de statuer sur une sorte d’escroquerie ressemblant beaucoup à la fable de l’arroseur arrosé. Deuxième mauvaise nouvelle, cette plainte a attiré l’attention du Parquet national financier français, car Mr Bhandari, à l’appui de sa demande, a détaillé le circuit détourné par lequel l’argent devait circuler, avec une naïveté à peine croyable. Ses avocats expliquent tranquillement que le contrat qui le liait à Thalès ne pouvait pas être formalisé pour « des raisons évidentes », sous-entendu l’illégalité de la transaction. En Inde, la corruption est pratiquement une institution, les deux partis principaux se partageant le gâteau selon les résultats des élections.

Pour ces marchés d’armement portant sur des sommes énormes, l’état français, actionnaire principal de Thalès, lui-même lié à l’entreprise Dassault trouve son intérêt dans sa balance commerciale et ferme les yeux sur les moyens employés. Dans le passé, il a même joué un rôle actif dans le pacte de corruption entre vendeurs et acheteurs par le biais des rétrocommissions destinées à financer des campagnes électorales françaises comme dans l’affaire de Karachi impliquant Édouard Balladur et François Léotard. L’enquête du PNF devrait mettre au jour des circuits parallèles permettant de rémunérer toute une faune d’intermédiaires dont le seul rôle réel semble de brouiller les pistes et d’empêcher de découvrir les véritables bénéficiaires de transactions immorales, nuisibles et probablement illégales. La vente de 36 avions Rafale pour la somme de 7,8 milliards d’euros de la société Dassault au gouvernement indien en 2016, aurait quant à elle transité par un autre gougnafier indien, également basé à Dubaï, et qui aurait touché 2,4 millions d’euros entre 2004 et 2008. Est-il nécessaire de rappeler que des soupçons de corruption ont entaché également l’attribution des championnats du monde de football au Qatar ?