Souriez, Big Brother vous regarde

La décision du tribunal administratif de Rouen, saisi en référé, de limiter l’utilisation de drones pour surveiller le défilé du 1er mai au Havre, fera-t-elle jurisprudence ? Des recours similaires ont été déposés par l’Association de défense des libertés constitutionnelles et le Syndicat des avocats de France, à Bordeaux, Paris et Lyon. D’autre part, le Conseil d’État doit se prononcer le 15 mai sur la validité des arrêtés préfectoraux qui autorisent l’emploi de ces engins volants dans le cadre du maintien de l’ordre. La crainte des organisations de défense des libertés individuelles, c’est évidemment d’un usage à des fins d’identification de citoyens ordinaires pour porter atteinte au droit de grève ou de manifestation.

Il existerait bel et bien une doctrine d’emploi de ces drones, émanant du ministère de l’Intérieur, mais elle n’a jamais été homologuée par la Commission nationale informatique et libertés, pour l’excellente raison qu’on ne la lui a pas soumise. Les autorités compétentes jurent leurs grands dieux que les données relevées ne seront pas couplées avec un logiciel de reconnaissance faciale, mais on n’est pas obligés de les croire sur parole. L’expression selon laquelle tout ce qui n’est pas interdit devient rapidement autorisé dans ce domaine se vérifie souvent. L’histoire des drones se confond avec celle de l’aviation elle-même, et ils sont devenus des armes de guerre redoutables comme on l’a vu dans les conflits du Moyen-Orient où des militaires basés aux États-Unis pouvaient piloter à distance des engins d’une précision redoutable, et encore aujourd’hui en Ukraine où des raids ont lieu de la part des deux belligérants.

Jusqu’à récemment, il était aussi possible d’avoir un usage récréatif de ces avions sans pilote, miniaturisés, pour filmer des paysages sous des angles nouveaux. Un usage devenu presque inenvisageable du fait des restrictions imposées par les autorités. Le tribunal de Lyon a estimé qu’il n’y avait pas d’urgence à statuer en référé. Peut-être, mais il faudra bien à un moment définir des règles d’usage de ces objets volants bien identifiés, si l’on veut notamment éviter une dérive vers une pratique sécuritaire, voire autoritaire, de ces engins. On a vu que la multiplication des caméras de surveillance dans les secteurs sensibles ne semble pas avoir eu d’effet dissuasif. Tout au plus ont-elles, dans certains cas, favorisé l’identification de délinquants imprudents. Car le paradoxe c’est que les criminels endurcis échappent le plus souvent à ces moyens automatisés de flicage avancé, alors que leur usage banalisé peut nuire gravement aux libertés individuelles, notamment celle d’aller et venir à sa guise sans devoir rendre des comptes alors qu’on n’enfreint pas la loi. Si l’on n’y prend pas garde, et si le pouvoir tombait dans de mauvaises mains, la réalité pourrait dépasser la fiction du roman de George Orwell : 1984.