Concurrence victimaire
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mercredi 12 avril 2023 10:51
- Écrit par Claude Séné
Le week-end dernier, deux évènements dramatiques se sont produits en France, qui ont monopolisé l’attention du public, bien aidé en cela par les médias, dont c’est évidemment le travail, et à qui l’on ne peut pas en faire le reproche. Le premier, chronologiquement, s’est déroulé dans la nuit de samedi à dimanche, avec l’effondrement spectaculaire d’un immeuble à Marseille, suivi d’un incendie et l’écroulement ultérieur d’un autre. Le deuxième a eu lieu le dimanche matin dans le massif du Mont Blanc, où une avalanche a emporté un groupe de randonneurs encadrés par deux guides de haute montagne. Très rapidement, le fait-divers de Marseille a éclipsé celui des Contamines, survenu ultérieurement.
Pour expliquer cette différence de traitement, on pense immédiatement au principe journalistique bien connu sous le nom de mort par kilomètre, où le nombre de victimes, rapporté à la distance géographique qui sépare le public de l’évènement, établit un ratio macabre qui fait que l’on sera plus sensible à une mort isolée près de chez soi, qu’à une hécatombe à l’autre bout du monde. Dans ces deux cas, il y aurait le même nombre de victimes, soit six personnes. Quant aux kilomètres, ils sont très comparables. Peut-être faut-il élargir la notion de distance à des aspects plus psychologiques. Les témoignages des habitants des immeubles proches du lieu de l’explosion, et même des personnes extérieures font presque tous état du même constat : « ça aurait pu être moi » ou d’une variante concernant les proches : « ça aurait pu être mon fils, ma fille… »
À l’inverse, même si les victimes de l’avalanche n’ont apparemment commis aucune erreur ni pris de risque inconsidéré, leur pratique sportive relevait d’une activité volontaire, attachée à un loisir. Alors que les habitants de l’immeuble semblent avoir subi un destin que rien ne laissait présager. L’enquête devra établir si le sinistre est consécutif à une imprudence, s’il a été provoqué par une fuite de gaz, et si des responsabilités sont mises au jour, mais dans l’état actuel des choses, l’opinion s’en remet à la fatalité, la malchance, la théorie du mauvais moment au mauvais endroit. Bien que les immeubles touchés par la déflagration n’étaient aucunement insalubres ou voués à la démolition, dans l’imaginaire collectif, le statut social de la ville de Marseille évoque les quartiers « difficiles », tandis que les sports d’hiver véhiculent une image de privilégiés. Mais l’élément peut-être le plus décisif dans la différence de traitement de ces deux faits-divers, dont seul le premier a eu droit au terme de « catastrophe », c’est la présence d’images spectaculaires dans la durée. Pensez donc : le chantier de destruction, la présence des secours, les nombreux témoins et les déclarations officielles ont permis d’alimenter les chaines d’information continue, sans lesquelles aucun évènement ne peut occuper durablement l’actualité.