Le pacifiste malgré lui

Mikhail Gorbatchev, le dernier président de l’URSS, est décédé, à l’âge de 91 ans. Il avait été, involontairement, l’artisan de la chute de l’empire soviétique, et à ce titre il bénéficie de la considération de l’ensemble du monde occidental, et, en miroir, focalise la détestation de la partie la plus nationaliste de la Russie, au premier rang de laquelle figure évidemment son chef actuel, Vladimir Poutine, qui s’est fendu d’un communiqué de condoléances en forme de service minimum. Gorbatchev est en quelque sorte l’anti-Poutine, même s’il n’a exprimé publiquement aucune critique sur le président russe ni sur sa politique.

En revanche, Poutine ne manque pas une occasion de rappeler qu’à son avis, l’effondrement du régime soviétique était la plus grande catastrophe qui ait frappé sa patrie. Toute sa stratégie, notamment en Ukraine, vise à rendre à la « grande Russie » tout le lustre et l’influence qui étaient les siens quand elle se partageait le monde avec l’autre superpuissance, celle des États-Unis. S’il est certain que Gorbatchev n’était pas un « va-t’en guerre », il serait très exagéré de le présenter comme un pacifiste ayant œuvré sciemment et continûment pour éviter le conflit, en dépit du prix Nobel de la paix qui lui a été attribué en 1990, l’année suivant la chute du mur de Berlin. À la fois, la politique menée par Mikhail Gorbatchev a contribué à rendre cet évènement possible, mais n’explique pas totalement la succession des évènements. Comme tout empire, l’URSS a connu une phase d’expansion, qui s’est traduite par un affaiblissement inversement proportionnel à son extension puis une chute inéluctable.

Mikhail Gorbatchev a tenté d’infléchir la trajectoire en mettant en place une nouvelle politique, symbolisée par la « glasnost », la transparence, et la « perestroïka », la reconstruction. Mais il n’a pu qu’accompagner un mouvement plus profond, une aspiration des peuples à décider pour eux-mêmes, qui se sont répandus dans la plupart des républiques soviétiques, une fois la première brèche dans le rideau de fer ouverte entre les deux Allemagnes. Pour certains nationalistes russes, nostalgiques de la grande époque, Mikhail Gorbatchev représente le personnage du fossoyeur, qui a enterré les rêves de grandeur. Ils espèrent trouver en Vladimir Poutine, le chef de guerre qui redorera le blason et réalisera l’union sacrée contre l’ennemi commun. L’adversaire nazi ayant fait faux bond, il s’agit de faire porter le chapeau aux Ukrainiens, accusés gratuitement de reprendre le flambeau, contre toute évidence. Poutine continue donc à feindre de croire nécessaire la « dénazification » et la démilitarisation de l’Ukraine, d’où cette guerre qui ne dit pas son nom et se présente comme une opération spéciale chargée de ramener l’ordre et d’imposer une « paix russe », comme auparavant la « Pax Romana », c’est-à-dire l’occupation de force d’un territoire indépendant.