La poire et le fromage
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le vendredi 29 juillet 2022 11:13
- Écrit par Claude Séné
Le président de la République française, Emmanuel Macron, à peine rentré d’une tournée d’une partie des dictateurs africains, a reçu hier soir la visite du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salmane, pourtant réputé infréquentable depuis que l’on a appris avec certitude que c’était lui, personnellement, qui avait commandité l’assassinat d’un journaliste d’opposition, Jamal Khashoggi, attiré sciemment en 2018 dans un guet-apens à l’ambassade saoudienne de Turquie, massacré par un commando, puis démembré pour faire disparaitre le corps. À ce lourd passif s’ajoute évidemment la guerre injuste menée au Yémen, sans plus de justification que celle de Poutine en Ukraine.
Pour faire bonne mesure, il faut rappeler que l’Arabie saoudite traite les femmes avec la plus grande misogynie et ne respecte pas les droits fondamentaux des êtres humains. Il s’agit bien d’une monarchie absolue qui ne craint pas de revendiquer des pratiques indignes d’un pays moderne. Les seuls progrès introduits par le futur roi, surnommé MBS, sont technologiques, et non sociétaux. Et c’est cet homme-là qui a été accueilli à bras ouverts par le président français, qui lui a longuement serré la main, comme si de rien n’était. Évidemment, personne n’est dupe de cette apparente jovialité, qui n’est pas plus sincère d’un côté comme de l’autre. Emmanuel Macron est prêt à s’assoir sur ses principes et à avaler bien des couleuvres dans l’espoir d’obtenir une augmentation de la production du pétrole, afin de faire baisser les prix et priver la Russie d’une partie de ses ressources, tout en garantissant les Occidentaux de tout risque de pénurie d’hydrocarbures. Un calcul malheureusement voué à l’échec, car la position du Royaume est déjà connue : pas de relèvement massif des pompages, mais de petits ajustements à la marge pour contenter ses partenaires et s’acheter une bonne conscience.
Naturellement, l’Élysée a bien conscience de l’effet négatif d’une telle rencontre et a donc fait savoir que la question des droits de l’homme serait évoquée au cours du « dîner de travail » entre les deux délégations. Oui, dans les hautes sphères on ne se contente pas de se nourrir, comme vous et moi, on justifie toutes les agapes par la raison d’État. Et donc, promis, juré, une fois expédiées les affaires courantes en guise d’amuse-gueule, pardon, de mise en bouche, les deux dirigeants aborderont les sujets sérieux des droits de l’homme, entre la poire et le fromage. Gageons que les effets en seront immédiats et que la liberté de la presse, ainsi que les droits fondamentaux, tels que la liberté d’opinion et le droit de réunion seront instantanément établis. Et cette expression courante « entre la poire et le fromage » pourrait faire apparaitre son véritable sens. La poire ne serait-elle pas l’hôte naïf qui paye les violons du bal, cependant que son invité conserve jalousement son pactole, l’or noir qui fait sa richesse, et rit aux dépens de celui qui l’écoute ? Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
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