Le théâtre des opérations

Jamais, peut-être, la métaphore n’aura autant justifié cette image, qui permet de jeter un voile pudique sur la dure réalité de la guerre, de ne pas l’appeler par son nom, ni d’évoquer le cadre des combats, celui du champ de bataille. Car c’est un véritable théâtre, pouvant encore accueillir des représentations en temps de paix, qui a été pris pour cible à Marioupol par l’artillerie et les tirs de missiles russes. Un édifice reconverti par les habitants en abri antiaérien pour sa partie enterrée, et en hébergement de fortune pour des familles chassées de leur domicile par les obus ennemis.

Conscients du risque que leur faisait courir la folie meurtrière du dictateur russe, vexé à mort de ne pas parvenir à mater la résistance populaire et celle de l’armée ukrainienne, qui a décidé d’ensevelir la population sous les ruines de ses propres bâtiments, les responsables avaient pris soin de signaler la présence d’enfants dans leurs rangs, dans l’espoir, malheureusement déçu, de dissuader les frappes de l’armée russe. Ils avaient déployé des lettres immenses en russe à la peinture blanche de part et d’autre du bâtiment, telles que les observateurs aériens ne pouvaient pas manquer de les voir. Peine perdue. Les soldats russes ou les supplétifs fournis par les gouvernements complices ont visiblement reçu des instructions pour n’épargner personne et terroriser l’ensemble de la population. Plusieurs centaines de personnes, peut-être un millier, s’étaient réfugiées dans le théâtre et le sous-sol a résisté aux impacts, mais le bilan humain, et notamment celui des enfants, risque d’être très lourd.

En guise de justification, le Kremlin se contente d’accuser sans preuve et au défi du bon sens le plus élémentaire, les Ukrainiens eux-mêmes d’avoir bombardé leurs compatriotes. La propagande est telle que de nombreux Russes, comme avant eux les partisans inconditionnels de Donald Trump aux États-Unis, vont croire mordicus leurs dirigeants et une partie de la population renverra les belligérants dos à dos, tant le mensonge éhonté de Poutine parait tellement énorme qu’il ne pourrait être que vrai. Car la guerre entre Occidentaux et dirigeants russes est aussi une guerre de l’opinion. Les acteurs russes y jouent leur rôle, comme autrefois les chefs des soviets suprêmes. Le président Zelensky n’a pas tort d’évoquer le retour du rideau de fer. Simplement, ce n’est plus la guerre froide, mais bien la chaude, la brûlante même. Avec ses milliers de morts et de blessés, et ses millions de déportés, obligés de partir sur les routes pour échapper à l’occupation, aux bombes et peut-être bientôt à la famine. Comme au temps de l’URSS, il existe une minorité active, longtemps représentée par Navalny avant qu’on le bâillonne dans sa prison, et les premières défections, notamment dans le domaine de la culture, commencent à se produire, comme cette danseuse étoile du Bolchoï, qui a choisi de rester en Hollande. Peut-être un signe précurseur d’une prise de conscience de la réalité du pouvoir qui gouverne les Russes.