La résilience à toutes les sauces
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 17 mars 2022 10:56
- Écrit par Claude Séné
S’il n’est pas l’inventeur du mot, que l’on pourrait croire être un néologisme forgé de toutes pièces pour les besoins de la cause, Boris Cyrulnik, célèbre neuropsychiatre qui fait autorité sur la question, est celui qui a popularisé le concept de résilience. Je m’attendais donc, en l’entendant interviewer ce matin sur France Inter, à ce qu’il se montre critique sur l’utilisation de ce terme pour désigner un vulgaire train de mesures économiques, assez proche de l’esprit du « quoi qu’il en coûte » affublé d’un titre ronflant : « plan de résilience économique et sociale ».
À mon grand étonnement, et qui est tout à son honneur, Boris Cyrulnik a estimé que la formule était bien choisie, puisque « c’est la reprise d’un nouveau développement, après une période de catastrophe ». N’ayant, par nature ni par fonction, pas vocation à une telle indulgence, je me permettrai de juger la comparaison abusive et même inappropriée. Selon les observations de Boris Cyrulnik, la résilience serait cette capacité développée par certains enfants de surmonter les épreuves de la vie, parfois traumatisantes, pour reprendre une évolution plus ou moins satisfaisante. Cette énergie leur vient de l’intérieur, comme une force ou une pulsion de vie, qu’il faut certes accompagner, mais qu’on ne peut pas insuffler totalement et artificiellement. Comparaison n’est pas raison. Le corps social peut avoir de la ressource, ce n’est pas un organisme autonome, doté de raison et de volonté propre.
À force de détourner les mots de leur sens premier, spécialement lorsqu’il s’agit de termes ayant acquis un sens précis, plutôt utilisé par des spécialistes d’une question pour bien s’entendre sur un concept et l’identifier clairement, on finit par tout confondre et introduire inutilement de l’incertitude sur ce dont nous parlons. Au lieu de préciser les choses, on les obscurcit. Au risque de paraître conservateur, voire réactionnaire, j’aime assez que l’on appelle un chat, un chat, et que l’on réserve au langage poétique les nombreuses interprétations du même concept, tels que matou, minet, greffier, mistigri ou raminagrobis. De la même façon, je ne trouve pas nécessaire de suivre une certaine mode qui consiste à remplacer un mot existant par une tournure nouvelle, telle que la « gênance » quand la gêne ferait tout à fait l’affaire. Idem pour la « kiffance » ou les participes « confusant », « malaisant » et « ennuyant ». Bon, j’avoue, j’ai moi-même cédé à la tentation de fabriquer des néologismes dans une jeunesse désormais bien lointaine. Les réseaux sociaux n’existaient pas encore, mais les mots nouveaux se propageaient par des canaux aussi mystérieux qu’efficaces, si bien que l’on pouvait avoir l’illusion d’une génération spontanée et simultanée sur tout le territoire. L’exemple type en est la « doudoune » désormais passée à la postérité. Sera-t-elle résiliente ?