Les larmes de Taï ou du Bangladesh à la Seine-Saint-Denis.
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le dimanche 24 mai 2015 10:41
- Écrit par L'invitée du dimanche
L’écroulement tragique en avril 2013 d’un immeuble de neuf étages « le Rana Plaza » abritant des ateliers de textiles à Dacca au Bangladesh, faisant 1100 victimes parmi les ouvrières est resté dans nos mémoires. Après des manifestations réprimées sauvagement en novembre 2013, 4 millions d’ouvriers ont obtenu un salaire minimum de 68 dollars ! Ils restent malgré tout les ouvriers les moins payés du monde.
Presque toutes les marques de confection qui avaient promis d’avoir des exigences sur les conditions de travail de ces esclaves modernes adultes, mais aussi enfants, n’ont pas tenu leurs engagements. Les propriétaires allèguent qu’ils n’ont pas les moyens de procéder à la mise aux normes de leur entreprise, tant que les commanditaires n’augmenteront pas leur prix. Quelques contrôles ont bien été effectués, mais les usines restent toujours aussi insalubres, dangereuses, et les victimes, pour la plupart, attendent encore d’être indemnisées ! La course au profit seule compte (pour un tee-shirt à 29 €, 3,61 € pour la marque, 1,15 € pour l’usine, 0,18 € pour l’ouvrier, 17 € de marge pour le magasin).
Les marques qui avaient alors été pointées du doigt, Zara, Décathlon, H et M, Benetton, Lévis, etc. ont trouvé une parade, elles ont reporté leurs commandes sur le Cambodge. Les conditions de travail sont tout aussi déplorables, les salaires tout aussi misérables. Un des jeunes ouvriers de 16 ans, Taï, résigné, déclare en pleurant se rendre tous les jours à l’usine, contraint par sa famille à gagner sa vie, il est l’aîné de cinq enfants. Le cœur déchiré, il dit que ce n’était pas son désir, ce qu’il voulait lui c’est aller à l’école et devenir quelqu’un ! Tous les soirs, après un travail exténuant, il ouvre ses livres, à la lueur d’une lampe de poche, il refait ses exercices et il écrit un message destiné aux enfants khmers : « je n’ai plus d’avenir, je travaille à l’usine uniquement pour gagner de l’argent… »
Face à ce déferlement de produits venant d’Asie à des prix qui défient toute concurrence, on se confronte maintenant à une nouvelle institution, celle de plus de 1000 grossistes chinois qui depuis les années 90 ont petit à petit transformé des kilomètres de friches à Aubervilliers en la plus grande plate-forme européenne d’importation de produits de mode chinois. On y vend de la confection de luxe made in china, achetée discrètement par de grandes marques et revendue trois fois son prix d’achat aussi bien à Berlin, Paris, Moscou ou Tel-Aviv. Mais c’est devenu aussi hélas un lieu de fabrication clandestine, dans les sous-sols, dans les caves, dans des conditions presque aussi sordides qu’en Asie. La main-d’œuvre en situation irrégulière, commence par travailler deux mois sans être payée 12 h par jour, pour un salaire ensuite de 19 € par jour, les deux tiers servant à payer les frais du voyage clandestin !
Face à ce dévoiement, on a envie de pleurer nous aussi, et de nous sentir coupables d’entretenir le système en tant que consommateurs ! Heureusement, il y a encore de l’espoir dans l’humanité : plus de 8000 € ayant été envoyés à la fondation « pour un sourire d’enfant », Taï a repris ses études, il prépare un bac pro pour être professeur de khmer. Un de sauvé pour des milliers de perdus.
L’invitée du dimanche