Démocratie de droit divin

Puisque ce 2 juin marque le début d’une nouvelle phase dans le retour progressif à la normale, si tant est que cette notion ait véritablement un sens, il est tentant de faire une sorte de rapport d’étape sur ce que cette crise sanitaire dit du fonctionnement de nos institutions. Les observateurs de la société française ont généralement souligné la discipline assez inattendue des Français. Certains ont effectivement un peu triché, ou un peu renâclé à observer les consignes contraignantes qui leur étaient données, mais, dans l’ensemble, ils ont suivi les prescriptions venues du pouvoir.

La peur du gendarme et le côté dissuasif des amendes à 135 euros y sont évidemment pour quelque chose, mais j’y vois surtout une caractéristique qui ne m’avait pas frappé jusqu’ici, c’est le côté légitimiste. Par ces temps de crise, le pouvoir n’est pas remis en cause dans ses fondements mêmes. Bien sûr, on va critiquer la gestion gouvernementale, on va souligner le manque de préparation, le manque de stocks en matériel médical ou les incohérences dans le dispositif mis en place pour lutter contre le virus, mais on ne conteste pas la place occupée par les acteurs politiques, bien qu’ils se trouvent là un peu par hasard pour beaucoup d’entre eux. À cette occasion, on s’aperçoit que nous sommes en état de démocratie, certes, puisqu’il ne s’agit pas d’un pouvoir dictatorial au sens strict, mais une démocratie purement formelle, où les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’un seul homme, voire d’une petite coterie sur laquelle il a une mainmise absolue.

La remarque vaut pour Emmanuel Macron, mais aussi pour la plupart de ses prédécesseurs. Prenons l’exemple de Jacques Chirac en 2002. Avec moins de 20 % des suffrages au premier tour, il sera élu dans un fauteuil de maréchal au 2e tour devant Jean-Marie Le Pen. Le parti présidentiel aura une majorité confortable aux législatives suivantes et il faudra une bévue monumentale pour qu’à la suite d’une dissolution le pouvoir du président soit remis en question. Le pouvoir exécutif est supposé être contrôlé par le législatif et éventuellement le judiciaire. Or ce n’est plus le cas depuis l’inversion du calendrier électoral. Ajoutons à cela qu’en cas de crise, la constitution permet d’accorder au président les pleins pouvoirs moyennant l’approbation de députés tout acquis à sa cause, et nous avons les ingrédients d’un pouvoir sans limites qui dispose de plus d’un appareil d’état permettant de diffuser une propagande destinée à se perpétuer aussi longtemps que possible. On ne sait plus, dans ces conditions, s’il faut se réjouir du comportement docile des Français, ou s’il faut craindre que les dirigeants, aveuglés par leur ego surdimensionné, ne poussent le bouchon un peu trop loin jusqu’à déclencher une nouvelle crise similaire à celle des gilets jaunes, sinon plus grave encore.