Captation d’héritages
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mardi 19 mai 2020 11:00
- Écrit par Claude Séné
Les hasards de l’actualité font que nous assistons à au moins deux escroqueries simultanément, dans lesquelles des personnages indélicats tentent de s’approprier le prestige de grandes figures du passé sans la moindre vergogne. Tout d’abord, j’ai appris tout à fait fortuitement que 2020 avait été décrétée comme l’année « De Gaulle ». Les commémorations prévues par le président de la République actuel ont évidemment souffert de l’omniprésence du covid-19 qui a monopolisé la totalité des médias depuis l’apparition de la pandémie, mais il a quand même pu rendre hommage à son illustre prédécesseur dimanche dernier.
Pour quelqu’un qui veut se parer des plumes du paon, il est regrettable, mais peut-être symbolique, de commencer par célébrer une défaite, celle de l’armée française à Montcornet, où le colonel de Gaulle n’a pu que retarder brièvement l’avance de la Wehrmacht. Dans cette pitoyable tentative de récupération de l’aura que le résistant de Gaulle a conservée auprès des Français, je retiens surtout la maladresse d’une comparaison qui ne peut que tourner à son désavantage. Et s’il tient tant à l’héritage de Charles de Gaulle, je le lui laisse, car le général est aussi devenu par la suite l’homme du coup d’état permanent, tenant le peuple français dans un étau après le 13 mai 1958 et abusant de son pouvoir.
Si je ne revendique pas l’héritage gaulliste (et à quel titre, grands Dieux ?) je me sens quelque peu spolié par l’initiative de Michel Onfray qui semble avoir réussi à préempter le prestige du Front populaire de 1936 en utilisant le terme pour désigner un obscur site Internet dont l’ambition serait de devenir une revue influente et peut-être un mouvement politique. Je croyais naïvement que les mots Front populaire étaient devenus une sorte de marque, une propriété intellectuelle commune, que protégerait une forme de copyright interdisant à quiconque de l’accaparer pour son bénéfice personnel. Il semble bien qu’il n’en soit rien. J’avoue que la filiation reliant Michel Onfray à Léon Blum m’a totalement échappée. Et l’attelage improbable des personnalités qui ont rejoint le philosophe a de quoi surprendre. Le moins que l’on puisse dire c’est que le Front populaire version 2020 ratisse large, de Jean-Pierre Chevènement à Philippe de Villiers. Il ambitionne de réunir les souverainistes de droite comme de gauche, rajoutant un peu plus encore de confusion dans un paysage politique déjà très dispersé par l’entreprise de démolition d’Emmanuel Macron. Dans un moment où le pays aurait besoin de clarté, de perspectives d’avenir, et surtout de justice sociale et de lutte contre les inégalités, la nécessité d’un nouveau Front populaire se fait effectivement sentir, mais sûrement pas sur des bases aussi floues. J’espère que les Français ne seront pas naïfs à ce point et qu’ils se défieront des imitations.