Les mots pour le dire
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le vendredi 23 janvier 2015 10:40
- Écrit par Claude Séné
Qu’en termes galants ces choses-là sont dites, s’exclamait Molière par la bouche de Philinte dans le Misanthrope, quand le ridicule Oronte déclame son fameux sonnet ! Une admiration que ne partage visiblement pas Nicolas Sarkozy à l’égard de Manuel Valls quand celui-ci emploie le terme d’apartheid pour qualifier la situation des populations dans les quartiers défavorisés. Je dois avouer que j’ai été surpris par l’usage de cette expression, dont le but a été évidemment de frapper les esprits.
Ce qui fait problème dans cette comparaison, c’est que l’apartheid est rattaché à une situation historique dans un contexte très particulier, principalement aux États-Unis et en Afrique du Sud. Dans ces deux pays, ce sont les lois qui interdisaient aux populations noires et blanches de partager les infrastructures, que ce soient les écoles, les piscines, les transports en commun, ou les toilettes. La ségrégation était organisée par l’état, l’autorité publique, dans le but avoué de maintenir la population noire dans un état de dépendance et de sous-représentation, perpétuant l’esclavage, même après son abolition.
La république française, au contraire, a toujours prôné un idéal d’égalité, sans malheureusement se donner les moyens d’y parvenir. C’est ainsi que l’on a vu proliférer dans les banlieues des grandes villes des quartiers où se concentrent les populations les plus pauvres. On a commencé à les appeler des ghettos, de façon impropre, là aussi, si l’on se réfère à l’origine historique des quartiers réservés aux juifs, notamment par l’Allemagne nazie. Notre société est grande consommatrice d’images métaphoriques, qui s’usent à force de servir. Le langage politique n’échappe pas à la règle. Manuel Valls a peut-être eu tort de dramatiser la situation des banlieues en employant ce mot d’apartheid, dont la violence excessive pourrait être contre-productive, mais Nicolas Sarkozy, en qualifiant cette expression de faute, ne fait pas autre chose que de monter en épingle un détail au lieu de s’exprimer sur le fond de la situation. Car le mot et la chose entretiennent des relations ambigües. Si l’on a besoin de mots pour désigner les choses, notamment en leur absence, les choses ne se résument pas à leur unique dénomination. Et la réalité est toujours plus complexe que sa représentation. Le temps est largement venu de passer à des actions concrètes pour améliorer une situation que l’on appellera apartheid, ségrégation, ou ce que l’on veut, plutôt que de ratiociner sur le vocabulaire.