Le Noël du poissonnier

Dans une vie antérieure, je participais à la rédaction d’un journal qui ne paraissait qu’une fois par trimestre et nous faisions appel tous les ans à un écrivain pour agrémenter la dernière page d’un conte de Noël original pour le dernier numéro de l’année. Je dois dire qu’il s’est acquitté de cette tâche ponctuellement, et bien mieux que je n’aurais su le faire, nous réjouissant à chaque fois de ses inventives trouvailles.

 

N’ayant pas ce talent et cette imagination, je me contenterai donc de vous rapporter une petite histoire vraie, dont vous devrez vous contenter en guise de conte de Noël. Il était une fois, donc, et pas en Belgique, mais pas loin, dans le Pas-de-Calais, un poissonnier, ravi d’avoir enfin pu ouvrir sa propre échoppe, qui devait faire face à un afflux de commandes pour les fêtes de fin d’année. À la fois pour célébrer l’ouverture de son magasin et pour échapper à la pression de ce surcroit de travail, notre ami s’était donné du courage en portant quelques toasts à sa propre santé, au point de ne plus trop savoir où il se trouvait. Pour passer le temps, à la pause méridienne, le voilà qui décide de se livrer à un petit plaisir innocent dont il est coutumier : s’habiller en femme. Il enfile donc guêpière et bas résille, ajuste sa perruque et ses faux seins en mousse, retouche son maquillage et voilà ! L’illusion est parfaite.

Le malheureux n’a oublié qu’une chose, ou plutôt deux pour être précis. Il ne se trouve pas dans l’intimité de son boudoir, mais derrière la devanture transparente de son magasin, ne laissant rien ignorer de son anatomie aux éventuels clients ou aux passants dans la rue, d’autant plus qu’il a omis d’enfiler son string, un oubli d’autant plus coupable qu’il expose ainsi ses attributs, doublant d’un attentat à la pudeur la ruine de la vraisemblance du travestissement. Le poissonnier, rapidement dégrisé par l’arrivée de la maréchaussée locale, a décidé de plaider coupable à l’audience prévue en février prochain, ce qui devrait lui permettre de s’en tirer à moindres frais. Je ne saurais trop lui conseiller, pour amortir la procédure, de participer au concours « la France a un incroyable talent ». Après tout, Conchita Wurst a remporté l’Eurovision en présentant un combiné de masculinité et de féminité défiant les règles conventionnelles.

Joyeux Noël !