Grand corps malade

Ce corps, c’est le corps préfectoral. Les préfets sont les représentants de l’état sur le terrain, et ce sont eux qui sont supposés faire respecter les lois de la République, mais aussi les choix de l’exécutif, décidés par le président ou le gouvernement. Et si les choses tournent mal, ils sont en première ligne pour en assumer les conséquences. C’est ainsi que Claude d’Harcourt, qui était préfet de Loire-Atlantique en 2019 lors de la dispersion de la fête de la musique à Nantes, vient d’être mis en examen pour homicide involontaire après la mort de Steve Maia Caniço.

Ce fait-divers fait partie des éléments qui ont permis à Philippe Poutou, candidat du NPA à l’élection présidentielle, d’affirmer : « la police tue », propos dénoncé par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a porté plainte. Il se trouve que nous sommes à la veille de la date anniversaire d’un autre évènement, d’une tout autre ampleur, le massacre et la répression d’une manifestation pacifique parisienne des Algériens de France, à l’appel du FLN. Selon certains historiens, il y aurait eu plus de 200 morts, dont beaucoup jetés dans la Seine, ce 17 octobre 1961, il y a tout juste 60 ans, en pleine guerre d’Algérie. Si c’est bien la police qui a tiré, c’est le préfet de police, Maurice Papon, qui a donné les ordres et couvert les fonctionnaires en minimisant sciemment le nombre de victimes, réduit à trois. Maurice Papon est le prototype caricatural du serviteur aveugle de l’état, quelle que soit sa couleur politique, collabo et pétainiste quand il le jugeait nécessaire, puis gaulliste et disponible pour les basses besognes et la liquidation d’un héritage colonial.

Si les préfets sont dévoués à l’état, ils n’en gardent pas moins leur libre arbitre et doivent en assumer la responsabilité. Ils se mettront au service de la résistance, comme Jean Moulin, qui le paiera de sa vie, ou du régime de Vichy comme René Bousquet. Certains choisissent clairement leur camp, au mépris de l’impartialité attendue de l’état, comme Didier Lallement, préfet de police de Paris, s’adressant à une manifestante « gilet jaune ». De même que les instituteurs ont été autrefois considérés comme les « hussards noirs de la République », les préfets sont choisis par le pouvoir en place, nommés en conseil des ministres par un décret présidentiel. Il en attend donc une obéissance sans faille. Il leur est interdit de se syndiquer, ils peuvent encore moins faire grève et ils sont soumis à une obligation de réserve. Ils ne sont plus qu’un tiers à être issus de l’ENA, qui leur donnait une forme de légitimité basée sur des compétences, pour n’être recrutés que sur leur bonne mine et une loyauté à toute épreuve, porte ouverte à tous les copinages.