La politique de l’autruche

Vous la connaissez, elle consisterait à se mettre la tête dans le sable pour supprimer un danger qui disparaîtrait du simple fait d’être caché. C’est tout le contraire de ce que j’ai pu voir mardi dernier sur le plateau de Quotidien, une émission de divertissement suivie en moyenne par 2 millions de téléspectateurs. Yann Barthès, l’animateur de ce talk-show, y a donné la parole à Lilie, une enfant de 8 ans, née sous une identité de garçon, et qui a la conviction d’être une fille depuis l’âge de 3 ans. 

Lilie était soutenue dans l’interview par sa maman, une éducatrice spécialisée qui l’accompagne dans sa démarche, et dans le public par son papa, sa sœur aînée et son frère jumeau. Le discours de la maman était impeccable formellement, demandant toujours son avis à sa fille, pleine de tolérance et d’ouverture. Lilie elle-même parait plutôt équilibrée, très sensée, tout sauf un singe savant ou un perroquet qui répéterait une leçon bien apprise. Alors pourquoi ai-je ressenti un certain malaise ? Peut-être du fait même de venir témoigner publiquement sur une question certes réelle, celle des enfants transgenres, mais en s’exposant, en se mettant en scène, au risque de déchaîner des réactions haineuses sur les réseaux sociaux, coutumiers du fait. Pourtant, l’école où Lilie est scolarisée en CE2 a accepté de reconnaître sa nouvelle identité et les seules limitations sont celles liées à la loi, qui ne permet pas de changement d’état civil à son âge. La démarche médiatique me parait donc être un acte militant plus que la recherche d’une vie sereine pour Lilie.

Cela m’a fait repenser à une anecdote personnelle dans l’exercice du métier de psychologue scolaire, il y a quelques années. J’étais tenu de donner un avis sur un passage anticipé au Cours préparatoire pour un enfant précoce. J’avais pu vérifier effectivement que l’équipement intellectuel de ce garçon, et sa maturité affective ne s’opposaient pas à cette éventualité. La maman était venue me rencontrer avec son deuxième fils, de 3 ans, je crois, qui dessinait pendant que nous discutions. Cette maman, tout en affirmant consciemment qu’elle ne faisait aucun forcing auprès de l’aîné pour qu’il passe de la moyenne section au primaire en enjambant la dernière année de maternelle, n’arrêtait pas d’enseigner les couleurs au cadet. Son discours inconscient manifestait son désir, sincère, de faire le maximum pour la réussite scolaire de ses enfants. Et c’est évidemment celui-là qu’ils entendaient et auquel ils s’efforçaient de répondre. Pour la petite histoire, le passage anticipé a été entériné, le dernier mot étant généralement laissé aux parents, qui ont la liberté et la redoutable tâche de prendre les décisions concernant l’éducation des enfants. J’espère que Lilie n’aura jamais à regretter la façon dont ses parents ont géré une situation tout de même délicate.