La raison du plus fort

Le procès du lanceur d’alerte Antoine Deltour et du journaliste Édouard Perrin s’est ouvert au Luxembourg, ce qui, en soi, est déjà un scandale. Alors que François Hollande rend un hommage appuyé, mais, hélas, purement platonique, à tous ceux qui révèlent des mauvaises actions et contribuent à moraliser un peu notre monde en portant à la connaissance du public des faits soigneusement dissimulés par leurs auteurs, les deux accusés sont mis en cause pour avoir fait fuiter les pratiques frauduleuses ou l’optimisation fiscale de multinationales avec la bénédiction des autorités luxembourgeoises.

Les forces en présence sont à l’évidence déséquilibrées. La petite société de production qui a réalisé le reportage sur le « Luxleak » diffusé sur France 2, n’a pas les moyens de soutenir longtemps des frais de justice que les firmes dénoncées par l’enquête n’hésiteront pas à faire durer autant qu’il leur sera possible. Il suffit de se souvenir de l’affaire Clearstream qui a causé la ruine financière du journaliste indépendant Denis Robert pour s’en convaincre. Sans parler des pressions que ne manqueront pas d’exercer l’état luxembourgeois, gravement mis en cause par les révélations, et son Premier ministre de l’époque, Jean-Claude Junker, devenu depuis président de la Commission européenne.

Malgré la position dominante des grands groupes qui échappent à l’impôt par tous les moyens, légaux et illégaux, cela ne leur suffit pas encore. Un lobbyisme acharné leur a permis de faire passer une directive européenne visant à permettre de poursuivre les journalistes et les lanceurs d’alerte au nom de la protection du secret des affaires, officiellement afin de lutter contre l’espionnage industriel. Pire encore, ce sont les lanceurs d’alerte qui devront apporter les preuves que leurs suspicions sont fondées, et non les entreprises qui devront établir leur bonne foi. La charge de la preuve incombera donc au plus faible contre le plus fort. Et l’on sait ce qu’il advint du pot de terre. Il serait grand temps de changer de logique dans ce genre d’affaires et de considérer que les citoyens qui signalent de graves anomalies, que ce soit en matière fiscale, ou d’autres domaines comme la santé avec le scandale du Médiator, sont des bienfaiteurs de l’humanité et doivent, à ce titre, être protégés et encouragés. À mon sens, il faudrait même instituer un délit de non-dénonciation de scandale, au même titre que lorsque quelqu’un a connaissance d’un crime, au hasard, une agression sexuelle sur un enfant, et qu’il ne dit rien, il peut être poursuivi. On pourrait ainsi s’en prendre aux véritables responsables, pour changer, et occuper plus intelligemment les tribunaux.

Commentaires  

#1 jacotte 86 27-04-2016 10:44
qui a fait accepté la directive scandaleuse ? a quoi servent nos députés qui laissent passer une telle infamie? les belles paroles de notre président ne lui voutent pas chéres, comme beaucoup d'autres restées sans suite, on finit par être blasés!!!
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