Second degré

L’ironie est une matière à utiliser avec parcimonie et à bon escient, surtout si l’on a affaire à des publics dénués du moindre sens de l’humour quand il s’exerce à leurs dépens. J’en veux pour preuve la mésaventure de ce maitre de conférences de l’université d’Avignon qui est poursuivi pour provocation à la haine raciale, alors qu’il n’avait fait que citer Manuel Valls, dans des propos tenus en tant que maire d’Évry. On s’en souvient, en 2009, Manuel Valls avait demandé à l’équipe de tournage de montrer « quelques blancs, quelques white, quelques blancos » pour illustrer sa visite dans une brocante de la commune.

À l’occasion de la venue du premier ministre, le professeur avait souhaité que la délégation universitaire compte suffisamment de « blancos » et pas trop de « basanés ». L’allusion n’a visiblement pas plu à Manuel Valls ni au procureur de la République qui a jugé bon de poursuivre l’enseignant, manifestement très loin de pouvoir être taxé de xénophobie. Il y a quelques années, c’est Nicolas Bedos qui était poursuivi pour avoir utilisé l’expression « enculé de nègre » dans une chronique, dans un but de provocation qui avait fonctionné au-delà de ses espérances. Il rejoignait ainsi son père, Guy, qui avait fini par cesser de jouer un sketch mettant en scène un couple raciste en visite à Marrakech parce que le public le prenait au mot et qu’il ne percevait pas la distance entre le personnage et l’acteur.

À l’inverse, lorsque Brice Hortefeux prétendait parler d’Auvergnats quand il les trouvait trop nombreux il ne trompait personne, pas plus que Dieudonné quand il se réfugie derrière un humour douteux pour exposer ses convictions racistes et xénophobes. Évidemment, les choses seraient plus simples si le langage ne pouvait revêtir qu’une seule signification, si aucun double sens ne venait perturber la compréhension. Ce que certains ont appelé la logique de l’ordinateur. En langage binaire, un symbole ne peut représenter qu’une seule chose, et inversement. C’est peut-être pour cette raison que l’on a vu fleurir les émoticônes, ces dessins destinés à introduire les nuances et les états d’âme absents du langage numérique. En littérature aussi il y a eu des tentatives du même ordre avec l’introduction du point d’ironie, sorte de point d’interrogation en miroir, pour souligner l’intention de l’auteur. Pour ma part, je préfère laisser le doute subsister, car c’est dans cet entre-deux que réside une bonne part du sel de l’existence.