À qui profitera le crime ?

Le gouvernement turc retient trois hypothèses pour expliquer le double attentat qui a frappé sa capitale samedi dernier, faisant près d’une centaine de morts devant la gare Centrale d’Ankara parmi les manifestants de l’opposition rassemblés pour réclamer la paix. Pour le premier ministre, les trois pistes pour ces attentats non revendiqués sont celles de l’état islamique, des Kurdes du PKK ou de l’extrême gauche turque. Autant dire les suspects habituels, du moment que la responsabilité du pouvoir en place de Recep Tayyip Erdogan n’est pas mise en cause. C’est pourtant le régime qui soulève la colère d’une partie de l’opinion turque, qui le soupçonne d’être, directement ou indirectement, à l’origine de cette hécatombe.

Ces attentats font écho à celui de juillet dernier à Suruç, près de la frontière syrienne, avec lequel ils présentent des similitudes objectives. Dans les deux cas, les explosions ont été déclenchées par des kamikazes et les victimes étaient proches du parti d’opposition accusé par le pouvoir d’être la vitrine du PKK, désigné comme adversaire principal, avant même Daech, qu’ils combattent cependant. L’enquête a conclu à la responsabilité de l’état islamique malgré l’absence de revendication et de preuve de l’engagement djihadiste de leur auteur. L’attentat de Suruç a provoqué un engrenage de la violence. Le PKK revendiquera l’exécution de deux soldats turcs accusés de collusion avec Daech, et l’armée turque se saisira de ce prétexte pour engager une campagne de frappes aériennes contre les Kurdes du PKK.

Je vois quant à moi une autre similitude avec un attentat meurtrier : celui qui s’est produit en 2004 dans la gare d’Atocha à Madrid, faisant 191 morts. Le gouvernement de droite de Jose Maria Aznar a cru pouvoir utiliser ce drame pour mobiliser l’opinion à son profit en désignant le mouvement séparatiste basque ETA à la vindicte populaire. En réalité, l’enquête démontrera la responsabilité d’Al-Qaïda, qui finira par revendiquer l’action en fournissant des éléments de preuve de son implication. L’attentat s’est déroulé trois jours avant les élections générales qui verront la défaite du parti populaire d’Aznar, pourtant favori jusque-là, le peuple ayant conclu à la tentative de manipulation par le pouvoir en place. Les élections en Turquie auront lieu dans trois semaines. Elles ont été convoquées par le président Erdogan lui-même, qui espère consolider une majorité mise à mal par le précédent scrutin. Il pourrait bien, comme Aznar, subir un nouveau revers électoral.