Waterloo

Allons-nous assister aux derniers soubresauts de l’entreprise de vente par correspondance dont les dirigeants n’ont pas su prendre le virage de l’Internet au moment où c’était possible ? En 2006, une association avait réalisé un pastiche du célèbre catalogue, appelé pour l’occasion La Déroute. Elle ne croyait pas si bien dire. En 2014, la déconfiture de l’entreprise atteint des abysses tels qu’elle frôle le dépôt de bilan et sera rachetée par ses dirigeants pour un euro symbolique. Depuis, le groupe n’en finit pas de se survivre en se saignant de ses employés, plus de la moitié en 5 ans, et prévoit encore la suppression de 1178 postes d’ici à 2017.

C’est grâce à ce chantage à l’emploi que La Redoute cherche à imposer à ses salariés des horaires de travail tardifs, au-delà de 21 heures, le seuil du travail de nuit, menaçant de recourir à un tirage au sort si les « volontaires » ne sont pas assez nombreux, ce qui est le cas. Cette idée m’évoque irrésistiblement le système mis en place pour la conscription, où les jeunes gens d’une classe d’âge tiraient un numéro d’ordre au moment du conseil de révision pour déterminer s’ils partaient ou non pour l’armée, ce qui pouvait signifier à l’époque la vie ou la mort. Ou parfois, la bourse ou la vie, grâce au système du remplacement. Les jeunes gens riches pouvaient payer quelqu’un de moins fortuné pour aller se faire tuer à leur place quand ils avaient tiré un mauvais numéro. Ils pouvaient aussi se faire exempter pour diverses raisons, dont les charges de famille. Une disposition qui pourrait s’appliquer à la plupart des salariés de La Redoute, qui ne veulent pas sacrifier leur vie de famille, déjà largement compromise pour ceux qui finissent à 20 heures.

La disposition, si elle n’est pas absolument illégale selon les experts, est cependant profondément choquante et symboliquement exemplaire du rapport de force qu’impose le patronat dans ce contexte de crise économique. Le personnel continue d’être la variable d’ajustement privilégiée, sans aucune garantie de pérennité de l’entreprise. Les dirigeants, qui ne s’imposent aucun des efforts qu’ils exigent de leurs salariés, sont peut-être en train de vivre leurs Cent-Jours avant la défaite finale. On pourrait leur appliquer la célèbre réplique de Winston Churchill à Chamberlain après les accords de Munich : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. »