Grandes manœuvres

Après les élections européennes et les deux tours des législatives, trois scrutins perdus par le président de la République, il y avait quelque chose de surréaliste dans la désignation de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale, comme si de rien n’était, comme si les Français n’avaient pas voté et infligé à Emmanuel Macron un camouflet sévère, répété, personnalisé et sans appel. Tout autre président de la 5e République, à commencer par son fondateur, le Général de Gaulle, aurait tiré les conclusions d’un tel désaveu. On reprochait souvent, et moi le premier, à l’ancien président de mettre son mandat dans la balance pour forcer la décision en sa faveur. Au moins a-t-il eu l’honnêteté de se retirer en 1969 après le référendum perdu sur la décentralisation.

Emmanuel Macron, par obstination ou par vanité, tente de faire passer son échec pour une victoire. Il profite du flou de la Constitution sur certains sujets pour faire croire qu’il a toujours la main sur tout. Le prochain gouvernement sera nommé quand il le jugera bon, après qu’il se soit écoulé « un certain temps », comme pour le refroidissement du canon du fusil dans le vieux sketch de Fernand Raynaud. Sans le dire explicitement, il fait comprendre qu’il choisira lui-même le Premier ministre, sans se sentir tenu en aucune manière de le prendre dans l’opposition ou le groupe le plus représenté à l’Assemblée nationale. Il n’a d’ailleurs visiblement pas renoncé à constituer une coalition en vue de former une alliance de gouvernement. Le modèle en est déjà connu. La présidente sortante au poste du « perchoir » a été réélue grâce aux voix de ce qui reste du parti LR, expurgé de son aile d’extrême droite. On imagine sans peine la traduction de ce coup de pouce en postes de ministres.

L’avenir nous dira si cette alliance voit le jour, mais la manœuvre a ses limites. Même renforcé des 46 députés LR, le camp présidentiel de 168 sièges sera encore loin de la majorité absolue de 289 députés. Un gouvernement éventuel acquis à la cause macroniste ne disposerait pas d’une base suffisante pour éviter d’être renversé par une motion de censure. D’autant plus que la répartition des postes à responsabilité au bureau de l’Assemblée a écarté le Rassemblement national, ce qui lui permet de se poser en victime et de justifier par avance son opposition à son adversaire préféré. Le nouveau Front populaire, qui n’obtient pas le perchoir, aura cependant la majorité au bureau de l’Assemblée, ce qui pourrait éviter certains abus de pouvoir contre les députés de gauche. Sur le fond, rien n’est réglé. C’est le président de la République, qui se veut l’arbitre de tout, qui nous a mis dans cette panade, mais il ne faut pas compter sur lui pour nous en sortir. Il s’accrochera à la moindre parcelle de pouvoir, quoi qu’il en coûte aux Français.